"la science est faillible, parce qu'elle est humaine."
Une page pour le plus important philosophe des sciences du XXe siècle. Seulement quelques citations qui reflètent sa pensée, et l'homme qu'il était.
On me reprochera de n'offrir que des citations, et non une analyse de quelques grands problèmes philosophiques traités par Popper, comme par exemple sa solution du problème de l'induction dans la théorie de la connaissance, ou les liens logiques existant entre cette solution et le problème de la démarcation. Etc. Ma réponse est que bien qu'ayant lu tous ses ouvrages en français, je n'ose pour le moment, me lancer dans un tel travail, sauf à exhiber ma propre compréhension de la lecture que j'ai faite des problèmes traités par Popper. En effet, il me faudrait, pour qu'une telle aventure soit crédible, connaître et maîtriser au moins autant, les autres théories de la connaissance, les autres tentatives de solution des problèmes philosophiques traités par Popper, chose qui rendrait possible un véritable travail expérimental dont le but serait évidemment une critique approfondie des positions de Popper par leur mise à l'épreuve, que vous ne trouverez pas ici.
Alors ? Comment peut-on considérer tout ceci ? Comme mon "petit Popper illustré" ? Comme un culte dogmatique que je voue à ce philosophe ? Je dois reconnaître, d'une part, avoir beaucoup été séduit par ses thèses sur la théorie de la connaissance, la méthode scientifique, et en philosophie politique. Je dois reconnaître aussi que mon inculture philosophique, d'autre part, a de quoi faire passer mon admiration pour Popper comme sectaire et dogmatique.
Une discussion "animée" et récente avec un professionnel en matière de philosophie, m'a ouvert les yeux sur mon dogmatisme poppérien, attitude foncièrement contradictoire. Popper doit être traité comme n'importe quel autre philosophe, il n'a pas à être traité comme un "archétype de philosophe".
Voici donc les fameuses citations, pêle-mêle, en désordre...Qu'elles contribuent seulement à vous donner envie de lire l'oeuvre de ce philosophe, j'espère de l'aimer, j'espère aussi de la critiquer.
A propos de POPPER (John C. ECCLES, Prix Nobel de Médecine):
"Jusqu'en 1945, j'entretenais, à propos de la recherche scientifique, les idées conventionnelles suivantes: premièrement, les hypothèses résultent de la collecte scrupuleuse et méthodique de données expérimentales. Il s'agit de la conception inductiviste de la science, qui remonte à Bacon et Mill. La plupart des scientifiques et des philosophes croient encore que c'est là la véritable méthode scientifique. Deuxièmement, les qualités d'un scientifique sont évaluées en fonction de la fiabilité des hypothèses qu'il a développées, celles-ci devant forcément être élargies par l'accumulation de nouvelles données, et servir aussi - comme on l'espérait - de fondements fermes et sûrs pour de nouveaux développements théoriques. Un scientifique préfère parler de ses données expérimentales, et considérer les hypothèses comme de simples échafaudages. Finalement - et c'est le point le plus important -, il est extrêmement regrettable, et c'est un signe de défaillance, qu'un scientifique s'engage en faveur d'une hypothèse réfutée par de nouvelles données, au point qu'on doive en fin de compte l'abandonner complètement.
C'était mon problème. J'avais longtemps défendu une hypothèse, avant de comprendre qu'elle devrait être vraisemblablement rejetée, et cela me déprimait énormément. En fait, j'avais été mêlé à une controverse à propos des synapses: à cette époque, je croyais que la transmission synaptique entre les cellules nerveuses était en grande partie de nature électrique. Je reconnaissais l'existence d'une composante chimique lente et tardive, mais je pensais que la transmission rapide par les synapses s'effectuait par voie électrique. C'est alors que Popper m'apprit qu'il n'y avait rien d'infamant, du point de vue scientifique, à ce que ses propres hypothèses soient reconnues comme fausses. C'était la plus belle nouvelle que j'avais entendue depuis longtemps. Popper m'a même persuadé de formuler mes hypothèses, concernant la transmission électrique excitatrice et inhibitrice par les synapses, avec suffisamment de précision et de rigueur pour qu'elles incitent à la réfutation (...) A présent, je peux même me réjouir de la falsification d'une théorie de prédilection, car une falsification de ce genre représente un succès scientifique."(in: Karl R. POPPER. "Toute vie est résolution de problèmes", tome1: "Questions autour de la connaissance de la nature". Edition: Actes Sud. 1997. Pages: 29 - 30).
"Il est fort regrettable que la plupart des chercheurs qui travaillent sur le cerveau pratiquent toujours la seule induction et croient que la science consiste à accumuler des faits observables par l'expérience, d'où émanerait la vérité scientifique. La littérature consacrée au cerveau est révélatrice à cet égard d'une immense collecte de faits sur le sens duquel nul ne s'interroge à la lumière d'hypothèses scientifiques. Popper a montré dans The logic of Scientific Discovery (1958) que l'induction n'était pas une méthode scientifique viable. Les avancées de la science viennent idéalement du raisonnement hypothético-déductif, qui consiste à formuler une hypothèse relative à une situation, puis à l'éprouver au moyen de connaissances pertinentes et de sa capacité d'explication."
(in: John C. ECCLES. "Comment la conscience contrôle le cerveau". Edition: Fayard. Collection: le temps des sciences. 1997. Préface).
"Voici enfin que nous parvient, traduit en français, ce grand et puissant livre. Qu'une oeuvre d'une telle importance ne soit publiée en France que près de quarante ans après l'édition originale allemande et plus de vingt ans après la traduction anglaise, cela paraîtra incroyable aux hommes de science, dont les disciplines ne connaissent pas de frontières nationales ou idéologiques. Cette carence, aujourd'hui heureusement réparée, est sans doute, comme d'autres, imputable à cette "sociologie fermée" de la philosophie française qui semble ne s'être largement ouverte, depuis nombre d'années, qu'aux plus obscures extravagances de la métaphysique allemande."
(Préface de Jacques MONOD, (prix Nobel), in : "La logique de la découverte scientifique", oeuvre maîtresse de Karl R. POPPER. Edition: Payot, bibliothèque scientifique. 1973).
Quelques unes de nos idées préférées de Karl R. POPPER:
"Il est immoral d'être prétentieux, ou d'essayer d'impressionner (...) en étalant votre savoir. Car vous êtes ignorants. Nous pouvons être différents les uns des autres dans le peu de choses que nous connaissons, mais, face à notre ignorance infinie, nous sommes tous égaux."
(in: William BARTLEY III, "Karl Popper science et philosophie", sous la direction de Renée Bouveresse et Hervé Barreau. Edition: Vrin, Paris, 1991. "Une moisson poppérienne", page: 69).
"(...)l'extrémisme est fatalement irrationnel, car il est déraisonnable de supposer qu'une transformation totale de l'organisation de la société puisse conduire tout de suite à un système qui fonctionne de façon convenable. Il y a toutes les chances que, faute d'expérience, de nombreuses erreurs soient commises. Elles en pourront être réparées que par une série de retouches, autrement dit par la méthode même d'interventions limitées que nous recommandons, sans quoi il faudrait à nouveau faire table rase de la société qu'on vient de reconstruire, et on se retrouverait au point de départ. Ainsi, l'esthétisme et l'extrémisme ne peuvent conduire qu'à sacrifier la raison pour se réfugier dans l'attente désespérée de miracles politiques. Ce rêve envoûtant d'un monde merveilleux n'est qu'une vision romantique. Cherchant la cité divine tantôt dans le passé, tantôt dans l'avenir, prônant le retour à la nature ou la marche vers un monde d'amour et de beauté, faisant chaque fois appel à nos sentiments et non à notre raison, il finit toujours par faire de la terre un enfer un voulant en faire un paradis."
(in: Karl R. POPPER, "La Société ouverte et ses ennemis". Tome 1: "L'ascendant de Platon". Edition: Seuil, Paris, 1979. Page: 135).
"...Mais le secret de la supériorité intellectuelle étant l'esprit critique, l'indépendance d'esprit, il en résulte des difficultés insurmontables pour toute forme d'autoritarisme, car l'autoritariste choisit en général des êtres dociles et malléables et, par conséquent, des médiocres. Il ne peut admettre que ceux qui ont le courage intellectuel de contester son pouvoir puissent être les meilleurs. "
(in: Karl R. POPPER, "La Société ouverte et ses ennemis". Tome 1: "L'ascendant de Platon". Edition: Seuil, Paris, 1979. Page: 114).
"...Cet intellectualisme moral est cependant une arme à deux tranchants. Malgré son caractère égalitaire et démocratique, repris et développé plus tard par Antisthène, il peut aisément conduire à l'autoritarisme, à cause du rôle important accordé au savoir dans l'éducation. Socrate semble avoir été tourmenté par le fait que ceux qui ne sont pas instruits, donc suffisamment sages pour connaître leurs lacunes, sont précisément ceux qui ont le plus besoin d'instruction. Aussi lui semble-t-il nécessaire qu'une autorité stimule l'ignorant pour le pousser à apprendre. Mais cet unique élément autoritaire est admirablement compensé dans son enseignement par le fait que l'action de l'autorité doit s'arrêter là. Le véritable maître ne démontre sa valeur que si, à la différence de son élève, il est capable de se critiquer lui-même. Son autorité tient à ce qu'il sait combien peu il sait. Pour Socrate, la mission éducative est en même temps politique, et c'est parce qu'il cherchait à développer le sens critique des citoyens au lieu de les flatter, qu'il se déclarait "le seul politicien de son temps".
(in: Karl R. POPPER, "La Société ouverte et ses ennemis". Tome 1: "L'ascendant de Platon". Edition: Seuil, Paris, 1979. Page: 110 - 111).
"Le langage est une institution sociale sans laquelle le progrès scientifique est impensable, puisque sans lui il ne peut y avoir ni science ni développement et progrès d'une tradition. (...) La méthode scientifique elle-même a des aspects sociaux.La science, et plus spécialement le progrès scientifique, est le résultat non pas d'effortsisolés mais de la libre concurrence de la pensée. Car la science réclame toujours plus de concurrence entre les hypothèses et toujours plus de rigueur dans les tests, et les hypothèses en compétition réclament une représentation personnelle, pour ainsi dire: elles ont besoin d'avocats, d'un jury et même d'un public. (...) Cette incarnation personnelle doit être organisée institutionnellement si nous voulons être sûrs qu'elle ait de l'effet. Et il faut dépenser pour ces institutions et les protéger par la loi. Finalement, le progrès dépend dans une large mesure de facteurs politiques, d'institutions politiques qui sauvegardent la liberté de la science: la démocratie."
(in: Karl R. POPPER, "Misère de l'historicisme". Edition: Agora, presses pocket. 1988. Page: 194).
"...Ceci, pouvons nous dire, est l'erreur centrale de l'historicisme. Ses "lois d'évolution" s'avèrent être des tendances absolues; tendances qui, comme des lois, ne dépendent pas de conditions initiales , et qui nous emportent irrésistiblement selon une certaine direction, vers l'avenir. Elles sont le fondement de prophéties inconditionnelles, contrairement aux prédictions scientifiques conditionnelles."
(in: Karl R. POPPER, "Misère de l'historicisme". Edition: Agora, presses pocket. 1988. Page: 162).
"...Nous pouvons ainsi distinguer logiquement entre une méthode de critique erronée et une méthode de critique correcte. La méthode erronée part de la question: comment pouvons nous établir ou justifier notre thèse ou notre théorie ? Elle conduit par là soit au dogmatisme; soit à une régression infinie; soit à la doctrine relativiste des cadres de référence rationnellement incommensurables. Par contraste, la méthode correcte de discussion critique part de la question: quelles sont les conséquences de votre thèse ou de votre théorie ? Sont elles toutes acceptables pour nous ?
Ainsi elle consiste à comparer les conséquences de différentes théories (ou, si vous voulez, de différents cadres de référence) et essaie de découvrir laquelle des théories en compétition (ou cadres de référence) a des conséquences qui nous semblent préférables. Elle est ainsi consciente de la faillibilité de toutes nos méthodes, et essaie de remplacer toutes nos théories par de meilleures théories. Ceci est, de l'aveu général, une tâche difficile, mais en aucun cas une tâche impossible."(in: Karl R. POPPER, "Le mythe de cadre de référence". Colloque de Cerisy, Karl POPPER et la science d'aujourd'hui. Editions: Aubier. 1989. Page: 40).
"Bien que je sois un admirateur de la tradition, je suis, en même temps, un partisan presque orthodoxe de la non orthodoxie: je soutiens que l'orthodoxie est la mort de la connaissance, puisque la croissance de la connaissance dépend entièrement de l'existence du désaccord."
(in: Karl R. POPPER, "Le mythe de cadre de référence". Colloque de Cerisy, Karl POPPER et la science d'aujourd'hui. Editions: Aubier. 1989. Page: 14).
"Le concept d'unique s'oppose à celui de typique: le typique se laisse apercevoir dans l'homme individuel lorsqu'on le considère d'un point de vue général donné. C'est pourquoi tout changement de point de vue entraîne un changement dans l'aspect typique. Il semble dès lors impossible à une psychologie, à une sociologie, quelles qu'elles soient, ou à tout autre espèce de science, de venir à bout de l'individuel; une science sans point de vue général est impossible."
(citation de Arne Friemuth Petersen, in: "Popper et la psychologie: les problèmes et la résolution des problèmes". Colloque de Cerisy, Karl POPPER et la science d'aujourd'hui. Editions: Aubier. 1989. Page: 377 - 378).
"Les notions d'orthodoxie et d'hérésie dissimulent les vices les plus vils, des vices auxquels nous, les intellectuels, nous sommes particulièrement sujets: l'arrogance, la certitude d'avoir toujours raison, le pédantisme, la vanité intellectuelle. Ces vices sont vils, mais pas aussi graves que la cruauté. Or la cruauté n'est pas non plus totalement étrangère aux intellectuels. Dans notre domaine également, nous avons notre part des choses. Il suffit de penser aux médecins nazis qui tuaient les personnes âgées et les malades alors qu'Auschwitz n'existait pas encore, et à ce que l'on a appelé la "solution finale" du problème juif.
C'est toujours nous, les intellectuels, qui, par lâcheté, vanité et orgueil, avons fait ou faisons les pires choses. Nous qui avons un devoir particulier à l'égard de ceux qui n'ont pas pu étudier, nous sommes les traîtres de l'esprit, comme l'a dit le grand penseur français Julien Benda. C'est nous qui avons inventé et diffusé le nationalisme, comme l'a montré Benda, et nous suivons les modes idiotes. Nous voulons nous faire remarquer et parlons un langage incompréhensible mais très impressionnant, un langage docte, artificiel, que nous tenons de nos maîtres hégéliens."(in: Karl R. POPPER, "La leçon de ce siècle". Editions: Anatolia. Collection: bibliothèques 10/18. 1993. Page: 139)
"La relation entre une théorie (ou un énoncé) et les mots qui la composent est analogue, à plusieurs titres, à celle entre les mots écrits et les lettres employées pour les écrire.
Les lettres n'ont, à l'évidence, aucune "signification" au sens où en ont les mots, bien qu'il nous faille connaître les lettres (c'est-à-dire leur "signification" en un autre sens) pour pouvoir reconnaître les mots, et ainsi discerner leur sens. L'on peut dire approximativement la même chose des mots et des énoncés ou des théories.
Les lettres ne jouent qu'un rôle technique ou pragmatique dans la formation des mots. A mon avis, les mots, de même, ne jouent qu'un rôle technique ou pragmatique dans la formulation des théories. Lettres et mots ne sont donc que des moyens par rapport à des fins (des fins différentes il est vrai). Et les seules fins intellectuelles valables sont: la formulation des problèmes, l'essai de proposition de théories aptes à les résoudre, et la discussion critique des théories concurrentes. La discussion critique jauge les théories examinées en fonction de leur valeur rationnelle ou intellectuelle en tant que solutions au problème considéré, et de leur vérité, ou proximité à la vérité."(in: Karl R. POPPER, "La Quête inachevée". Editions: Agora, pocket. 1986. Page: 28).
Sites internet sur Karl R. POPPER:
"Le" site sur Karl R. Popper
Un autre...
Site de Laurent LeCoustumer : une thèse sur Karl R. Popper et la communication
Open universe of the Japan Popper society
La bibliographie complète (en anglais) 1
La bibliographie complète (en anglais) 2
La dernière lettre de Popper
Une autre lettre de Popper
Photos de Popper
Site de Denis Collin : réflexions sur de nombreux problèmes philosophiques
Site de Claude Rochet
Site d'Alain Blachair
Un site plus critique sur Popper
Un site plus généraliste sur la pensée (cogitosearch.com)
The Karl POPPER debate program : tout savoir sur l'éthique et la méthode du débat, de la discussion
Une défense (justifiée) de l'épistémologie poppérienne face à certaines attaques de Sokal et Bricmont
L'épistémologie de Sir Karl R. Popper est-elle irrésistible ? (Par Angèle Kremer Marietti)
Le rationnalisme critique de Karl POPPER
Karl POPPER'S falsification principle
Mieux comprendre la falsifiabilité selon POPPER, par Yasuyuki KAGEYAMA
Enpsychlopedia
De la dictature démocratique à la démocratie des tyrans
Documents à télécharger :
Où en est-on du déterminisme ?
Karl Popper ou le conventionnalisme méthodologique
Popper and Hayek : who influenced whom ?
A la mémoire de Karl Popper
La méthodologie des programmes de recherche
La logique de la découverte scientifique
De l'épistémologie au politique : l'unité de la pensée de Karl Popper
Hayek's popperian critique of the Keynesian methodology
Confirmation et corroboration : accords et désaccords. Par Guillaume Rochefort-Maranda
Logique inductive et probabilités : une analyse de la controverse Popper-Carnap. Par Guillaume Rochefort-Maranda
Probabilité et support inductif. Sur le théorème Popper-Miller (1983). Par Guillaume Rochefort-Maranda
"Les théories et leur priorité sur l'observation et l'expérimentation" Par Bernard Dantier
La mise à l'épreuve des théories scientifiques (savoir minimal sur l'oeuvre de Popper). Par Dario Taraborelli