Déterminisme, prédictions didactiques et méthode fragmentaire :
La conception d'un projet pédagogique de type fragmentaire devrait
être aussi formalisée, précise et rigoureuse que possible
afin de permettre plus facilement les remises en question ; mais ne suppose
aucun déterminisme didactique (22): il n'y a aucune théorie
didactique (23)
ou pédagogique (et même aucune théorie scientifique ou
générale que ce soit) qui puisse nous permettre de concevoir
des stratégies d'enseignement capables de prévoir tous les aléas
(dans leur "dimensions" respectives) des différentes situations d'enseignement
en rendant compte à l'avance et avec n'importe quel degré
de précision de "l'amplitude" ou de la "grandeur" des variations
des dits "aléas". Il y a toujours un élément non prévu
qui peut réfuter tout ou une partie de la prédiction et rendre
illusoire la volonté de projet (et aussi de "leçon") sous une
forme rigide et/ou non fragmentaire. Par exemple, l'énoncé
: "la majorité des élèves de ce collège devra
d'ici 3 ans faire des bonds d'au moins 2,75 mètres, lancer le poids
à au moins 4,15 mètres et courir le 60 mètres en moins
de 8 secondes", est en partie réfuté si disons 90% des
élèves évalués sur l'épreuve du 60 mètres
ont été incapables de courir en moins de 8,5 secondes. Ceci a comme conséquence directe que lorsque nous
formulons une prédiction de nature pédagogique ou didactique,
c'est-à-dire lorsque nous écrivons nos objectifs de formation
qui comportent en eux-mêmes des problèmes réels à
résoudre par les élèves concernés, il est inévitable
que ces objectifs entraînent un taux d'échec plus ou moins important.
Cela dépend de notre compétence, toujours perfectible et améliorable,
à justement concevoir ce genre de prédiction. Cela dépend
aussi, de nos niveaux d'exigence quant au niveau de précision concernant
la réussite des élèves sur la résolution des problèmes
que nous avions formulés en objectifs à atteindre. Après
une période déterminée d'apprentissage, nous pouvons
dire par exemple: "les élèves n'ont pas tous exactement réussi
comme prévu", et pourtant considérer, à bon droit, que
le niveau de réussite des élèves ou de l'élève
se situe dans un ordre de grandeur acceptable pour que nous puissions considérer
(les élèves et nous) que la réussite est réelle
et "institutionnalisable", c'est-à-dire pouvant faire l'objet d'une
note transcrite sur un bulletin trimestriel. Finalement, tout ceci semble
réfuter, à première vue, notre argument selon lequel
des projets globaux sont impossibles. A première vue, seulement, puisque
comme nous l'avons démontré plus haut, il est impossible pour
un projet global d'atteindre des objectifs trop précis, ce type de
projet doit se "contenter" (le terme est je le reconnais trop péjoratif)
de mises en perspectives, lesquelles ne pourront être
atteintes que par des procédures dites fragmentaires, ou au coup par
coup. Le chemin qui mène au savoir, n'est pas une ligne droite, c'est
un chemin plutôt chaotique et sans fin, c'est à ceux qui empruntent
ce chemin de considérer en cours de route si les continuelles adaptations
qu'ils ont du mettre en œuvre doivent oui ou non être acceptées
comme des réfutations (par exemple des changement de sens) du cap choisi
initialement pour guider leur chemin, c'est-à-dire des "mises en perspectives"
proprement dites. Nous n'avons jamais dit et nous considérons qu'il
serait particulièrement absurde d'imaginer qu'une action pédagogique
puisse se passer de mises en perspective, de finalités pédagogiques,
puisque une action pédagogique fragmentaire serait dans ces conditions
injustifiable: nous ne pouvons la justifier qu'en admettant que les retouches
ponctuelles, ou les tentatives de réponses aux problèmes les
plus urgents, sont inscrits dans une volonté plus générale
qui est l'atteinte d'un savoir. Par conséquent, et à
titre d'exemple, il n'est pas illusoire de demander aux enseignants d'être
capables de programmer un cycle d'enseignement d'une A.P.S. sur une durée
de dix séances, compte tenu des connaissances acquises dans des domaines
divers permettant de concevoir ce genre de programme, et compte tenu aussi
du fait qu'au fil des bilans des séances qui constituent le programme,
des adaptations seront nécessaires, voire des reformulations, pour
toujours essayer de s'adapter aux difficultés des élèves.
Mais à la fin du cycle, il faudrait toujours selon nous considérer
que les adaptations qui ont été faites, les différentes
régulations tentées et réussies (ou celles qui ont échoué)
par l'enseignant, réfutent exactement les formulations des
différentes "mises en perspectives" de la programmation du cycle.
Ce dernier argument démontre que toute activité planificatrice
ne peut que faire le deuil de l'"illusion déterministe". Il démontre
aussi que les plans globaux ne peuvent en réalité se développer
que par une action fragmentaire qui paradoxalement réfute un activisme
qui se voudrait, à la base, uniquement global et qui nierait l'impossible,
à savoir celui de prédire exactement l'avenir. Les prophéties
pédagogiques sont des utopies et il est probable, comme l'ont démontré
Popper et Hayek dans le domaine historique et politique, que la croyance
en de telles choses repose sur une méconnaissance du fait que les
pouvoirs explicatifs des théories scientifiques sur lesquelles ces
prophéties seraient censées être fondées, sont
limités, parce qu'elles mêmes ne peuvent pas se fonder sur des
bases ultimes, et que par conséquent il convient d'adopter
une attitude plus humble qui commence sans doute par reconnaître que
dans un domaine pédagogique comme celui de l'E.P.S., les différents
concepts, les théories que nous utilisons pour construire nos prédictions,
ne peuvent pas faire de nous des intervenants dotés de pouvoirs pédagogiques
surnaturels. Dans le domaine pédagogique, l'expérience des faits
nous conduit inévitablement à "élaguer" nos ambitions,
mais jusqu'à quel point ?
L'"illusion déterministe", apparaît, selon
nous, dans tout projet, ou toute forme d'activité planificatrice, "pensée
en termes de plans rationnels et exhaustifs, à partir d'une procédure
régressive fin-moyen et d'une anticipation totale de l'interaction" (24). Ainsi,
cette illusion est-elle présente du projet pédagogique à
la "leçon", avec d'autant plus d'effets sur les pratiques d'intervention
didactiques, que celles-ci ne prévoient aucune mesure de régulation
au moins en fonction des classes des conséquences prévisibles
que nous avons décrites plus haut: "l'enseignant n'est pas un décideur
parce que son activité relève davantage d'une gestion d'un
flux informationnel émaillé de décisions discrètes,
ponctuelles et rares, que d'une cascade décisionnelle permanente
et totalement rationnelle. L'enseignant n'est pas un ingénieur dans
la mesure où il ne peut pas s'appuyer sur une base de connaissances
scientifiques totalement fiables (en matière d'apprentissage, de développement
de l'enfant…) et où l'interaction avec les élèves est
par essence source d'incertitude et d'imprévisibilité.
Et l'enseignant n'est pas un artisan dans la mesure où son action professionnelle
relève de deux phases distinctes: la conception et l'exécution
alors que l'acte créateur de l'artisan intègre ces composantes
en une seule visée." (25). Enfin, nous ne voulons pas
dire que l'enthousiasme et la hardiesse à formuler des conjectures
ou des objectifs didactiques ou pédagogiques, soient répréhensibles,
au contraire, nous pensons qu'ils sont indispensables, tout comme il
est indispensable de croire que les théories scientifiques (26) sur l'apprentissage
moteur, et sur les A.P.S. peuvent nous aider à concevoir et mettre
en oeuvre l'enseignement d'une A.P.S. dans le cadre d'une séance d'E.P.S.
Car sans cette croyance, même faillible, il nous serait tout simplement
impossible d'entreprendre quoique ce soit dans le domaine de l'éducation.
Pourquoi ? Tout d'abord, parce que tout comme il ne peut y avoir d'observation
de quelque objet que ce soit sans une théorie anticipatrice (27) qui donne
un contenu à l'objet observé, il ne peut non plus y avoir d'action
(ou de projet), tendue vers un but, sans une théorie anticipatrice
qui donne un contenu à l'action ou au projet. Par exemple, l'énoncé
singulier portant sur la réalité:"ce skieur fait
maintenant un virage avec trajectoire coupée", est possible (nous
pouvons le formuler) dans la mesure où il dépend nécessairement
d'un énoncé universel portant sur la réalité
qui pourrait être par exemple: "toutes les fois que nous observerons
un skieur utiliser ce type de virage, nous dirons qu'il fait un virage avec
trajectoire coupée". Cet exemple démontre qu'il nous serait
impossible d'observer ou de nommer, c'est-à-dire d'utiliser des énoncés
singuliers à propos du monde qui nous entoure (des énoncés
singuliers portant sur la réalité), sans ces énoncés
ou théories universelles dont ils dépendent, même si
nous ne pensons pas consciemment à ces énoncés
universels. (Nous ne nous référons, écrivant cela, à
aucune espèce de théorie de l'inconscient qui soit issue de
la psychanalyse). Mais la caractéristique essentielle des énoncés
universels comme celui que nous venons de formuler, c'est-à-dire d'énoncés
universels au sens strict (ne donnant aucune précision quant à
une région spatio-temporelle), est d'être réfutables
(on peut montrer qu'il sont faux grâce à la discussion critique
qui consiste dans les sciences empiriques à imaginer des tests
sévères pour les réfuter), puisque "toutes les fois
que" suppose bien entendu les événements (ou les "fois") du
passé, de présent, et du futur. Or, comme il nous est impossible
d'observer les événements du futur, il se peut bien qu'un événement
particulier entre en contradiction avec l'énoncé général,
et le réfute. Par exemple, si nos instruments (ou nos théories)
d'observation des skieurs progressent, (grâce à une amélioration
des théories qui permettent de concevoir et fabriquer ces instruments)
nous seront peut-être en mesure de corroborer l'observation de "virages
avec trajectoire coupée glissée" ou "virages avec trajectoire
coupée renvoi" (c'est chose faite !), qui réfutent la simple
description de "virage avec trajectoire coupée" en ce qu'ils
apportent un supplément d'information (et d'explication sur
la manière de faire des virages en ski alpin), et parce qu'ils montrent
que la formulation initiale ("virages avec trajectoire coupée")
ne correspond plus exactement aux faits. Par conséquent, les
énoncés universels sont faillibles, de même
que les théories anticipatrices qui guident nos actions ou nos projets.
Les énoncés d'objectifs de formation, les énoncés
de compétence à acquérir, sont des théories
anticipatrices faillibles. L'énoncé: "les élèves
devront être capables de choisir délibérément
entre le renvoi direct ou indirect en volley-ball" est une anticipation qui
repose nécessairement sur un énoncé, réfutable,
du genre: "toutes les fois qu'un élève pourra choisir délibérément
entre le renvoi direct ou indirect en volley-ball, nous dirons qu'il est compétent".
Avec cette démonstration (largement détaillée dans l'œuvre
de Karl R. Popper), nous pensons apporter la preuve que l'audace,et la nécessité
d'un faillibilisme critique (28), sont indispensable à
tout projet pédagogique, fut-il d'E.P.S.
Précisons que, pour nous, l'audace dont nous avons
parlé, ne se confond jamais avec l'utopie, puisque l'action
pédagogique utopique consisterait à croire qu'il est possible
d'atteindre un "univers idéal de réussite pédagogique"
qui ne peut exister que dans l'imaginaire de ceux qui sont en permanence
frustrés de constater que leur univers pédagogique au quotidien
ne peut correspondre à leurs rêves de perfection et d'aboutissement.
Ceux-là seraient plutôt enclins à baisser les bras, à
croire en une prétendue inéducabilité de l'individu,
et à user d'un scepticisme universel. Voici les principaux éléments,
qui, selon nous, génèrent d'inextricables situations de blocage
voire de conflit permettant de s'en tenir à l'immobilisme :
- non-acceptation du faillibilisme :
Aucune action pédagogique ne peut se fonder sur des théories
définitives et parfaitement déterminées. Il faut donc
accepter le caractère relatif et faillible des énoncés
d'objectifs que nous formulons et qui générent inévitablement
un taux d'échec chez les élèves : tout le monde ne peut
pas réussir exactement au même degré, ou au même
niveau dès lors que les objectifs proposés supposent la résolution
d'authentiques problèmes en décalage optimal avec les ressources
des élèves. Ceci signifie, qu'aucun enseignant n'a le pouvoir,
à travers les objectifs de formation qu'il peut proposer, de
prédire qu'il fera progresser tout le monde avec un taux d'échec
de zéro. Il est donc impossible de fonder un projet pédagogique
qui ne génère pas un certain taux d'échec chez les élèves,
il est impossible de concevoir une action pédagogique qui ne fabrique
pas de l'échec, c'est ce que doivent comprendre et accepter ceux qui
veulent écrire des projets pédagogiques s'ils veulent arriver,
ne serait-ce qu'à produire un document et commencer à travailler
!
- invocation univoque et systématique des difficultés extérieures
:
Ce sont toujours des problèmes matériels, ou des problèmes
liés aux élèves ou aux parents, ou aux collègues
qui sont la source essentielle des difficultés à atteindre le
nirvana pédagogique. Dans les différents constats d'échec
que nous pouvons faire avec nos élèves, il est clair que l'on
ne peut si l'on veut vraiment progresser, occulter complètement ce
qui relève de sa propre production didactique et pédagogique.
- utilisation du scepticisme universel :
(Cf. Karl R. Popper, in: "Les deux problèmes fondamentaux de la théorie
de la connaissance." Edition : Hermann. Paris 1999. Pages: 108 - 110; 123)
lequel est contradictoire puisqu'il se fonde sur l'objet même de sa
propre critique : le fait qu'il est toujours possible de critiquer
la perfectibilité d'une hypothèse, d'un projet, ou d'un résultat,
en invoquant son caractère nécessairement relatif. "Ainsi
la conception sceptique s'annule d'elle-même, en annulant la vérité
de ses présupposés."(Popper, in ouvrage cité précédemment,
page : 108). Mais, contradictoire par nature, il est aussi logiquement dénué
de sens, c'est-à-dire insoutenable parce que sans fondement réel.
Ce genre de scepticisme est l'arme sclérosante des éternels
insatisfaits, qui pensent détenir là un pouvoir de saper à
priori tout ce qui peut être tenté sous forme de projet ou d'évaluation
afin d'améliorer une situation locale. Finalement, en voulant toujours
et à tout crin mettre en évidence que l'on a pas parfaitement
élaboré une solution idéale à un problème
pédagogique, le scepticisme universel constitue paradoxalement un puissant
obstacle à la construction de projets qui ne seront jamais rien d'autre
que de plus ou moins bonnes approximations de la vérité. Par
exemple de la solution idéale à un problème particulier
dans un établisement scolaire.
Dès lors, la seule manière de sortir de cette situation
de blocage, et la seule qui soit véritablement rationnelle, consiste
à comprendre et accepter son propre faillibilisme en matière
de pédagogie ou de didactique, et à le soutenir par l'attitude
critique. Comme nous l'avons déjà dit plus haut, il ne peut
exister de loi d'intervention didactique ou pédagogique qui soient
aussi bien déterminée qu'une loi des sciences de la Nature (répétons
encore, que même dans le cas des lois de la Nature il ne peut exister
de lois qui soient parfaitement déterminées, comme l'a magistralement
démontré Karl R. Popper dans son livre : "L'univers irrésolu,
plaidoyer pour l'indéterminisme."). D'ailleurs, s'il en existait une,
nous serions capables de prédire en rendant compte à l'avance
de n'importe quel degré de précision (on aura déjà
saisi l'impossibilité d'un tel projet, justement à cause de
ce fameux "principe de responsabilité" dont parle Popper) le comportement
exact de tout individu conformément à la loi. Ce qui
aurait pour conséquence de nous croire capables d'éduquer tous
les individus ou une grande proportion d'entre eux, selon des chemins différenciés
mais pour des objectifs identiques. Mais une telle ambition pédagogique
(du genre : "80% des individus d'une classe d'âge doit atteindre le
niveau du baccalauréat"), ayant mal refoulé son viscéral
réflexe utopique et totalitaire, a bien du mal à cacher sa
vraie nature.
Les remises en questions incessantes de notre prétendu "Savoir" pédagogique
sont donc de notre responsabilité. Les solutions qui nous ont coûté
beaucoup d'efforts de recherche personnelle et qui fonctionnent sur le terrain
avec les élèves, finissent plus ou moins rapidement par être
réfutées par les faits de terrain. Continuer de croire qu'une
solution adoptée et reconnue comme "idéale" par une communauté
pédagogique puisse le rester indéfiniment, est naïf et
absurde, et consiste tout simplement à nier ou tenter d'occulter
les faits qui réfutent la solution, ou à les dénaturer
pour toujours transformer les réfutations en confirmations. Le problème
se résume alors, très souvent, pour la communauté pédagogique,
de la manière suivante :
- reconnaître et accepter, en commun, les réfutations (Combien
de temps encore avant que nous nous décidions à reconnaître
les faits pour éliminer les erreurs dans nos anciennes solutions).
Puis : quels sont les nouveaux problèmes qui surgissent de ces erreurs
révélées et corrigées ? Quelles nouvelles hypothèses
à formuler pour les résoudre ?
- éviter de faire "table rase" de l'ancienne solution, car dans de telles conditions, en
repartant à zéro, nous ne profitons d'aucune expérience
acquise et nous sommes à nouveau dans l'éventualité
de commettre les mêmes erreurs, ou des erreurs bien plus graves et
en plus grand nombre. Mais un autre problème, avant ce stade, réside
en la construction d'un "fond local de connaissances acquises"
sur certains problèmes. Mais, rappelons-le, ce fond local ne peut
lui-même reposer sur des bases ultimes, inrévisables. Il ressemble
plutôt à un "édifice bâtit sur des pilotis" lesquels
ne sont que de mieux en mieux enfoncés dans la vase au fil de nos
erreurs corrigées. Nos connaissances ne reposent donc jamais sur une
quelconque base rocheuse, elles n'atteignent jamais un Savoir. Cette
incertitude nous oblige à un activisme permanent (si possible accompagné
de procédures d'investigation et de contrôle conformes
à la méthode expérimentale) en face des divers problèmes
pédagogiques, bien qu'aucune action ne puisse démarrer sans
que nous considérions à un moment ou un autre que nous possédons
des connaissances suffisamment assurées, jugées non problématiques,
des "vérités" (nous employons, à dessein,
ce terme tout à fait librement) qui ne se confondent jamais avec des
"certitudes". Par exemple : comment peut-on "traditionnellement"
résoudre des problèmes d'ordre relationnel dans ce collège,
compte tenu de certaines régularités concernant les caractéristiques
sur l'origine des élèves inscrits ? Ou encore : comment résoud-on,
par expérience, dans ce collège, l'organisation de cycles de
gymnastique sportive, compte tenu de certaines régularités concernant
les caractéristiques des élèves et les conditions matérielles
? Ici se trouve l'essentiel de la problématique de la méthode
framentaire appliquée à la conception de projets pédagogiques
: sa mise en oeuvre, qui suppose une démarche quasi-expérimentale
par essais-erreurs (Popper), ne saurait logiquement se fonder sur du vide,
mais nécessite un fond de connaissances acquises provisoirement "corroboré"
par la communauté éducative locale concernée. Ceci
suppose :
- qu'il serait intéressant que dans tous les établissements
scolaires, un groupe d'enseignants (ou même tous les enseignants) soient
formés à la démarche fragmentaire, et participent concrètement
à l'édification progressive du fond local de connaissances
acquises dont nous avons parlé.
- que dans chaque établissement scolaire, les équipes d'enseignants
d'E.P.S. établissent avant toute action didactique ou pédagogique,
un état des lieux sur les problèmes les plus couramment rencontrés
localement afin que :
. tout nouvel enseignant intégrant l'établissement ne commette
pas les erreurs déjà connues et corrigées par les anciens
déjà installés depuis longtemps (pour permettre, par
exemple, aux nouveaux arrivants d'avoir une efficacité de départ
au niveau de leur organisation au moins équivalente à celle
des anciens). L'équipe enseignante, serait donc invitée à
produire et à faire progresser, d'année en année le contenu
d'un document de référence étroitement intégré
aux divers documents d'action ou de projet pédagogique traitant de
certaines régularités problématiques concernant
l'éducation physique sportive dans l'établissement.
. ce document de référence permettrait une inspection pédagogique
relativisée par une connaissance commune (entre l'inspecteur
et les enseignants d'E.P.S.) anticipée et affinée des problèmes
locaux, qui peuvent par exemple concerner des problèmes très
précis sur l'organisation ou l'enseignement des différentes
A.P.S. (Nous avons conscience que ce sont des difficultés purement
matérielles et relatives à l'organisation qui pourront,
de prime abord, être les plus facilement identifiables en tant que "régularités
problématiques").
Une des critiques que l'on pourrait formuler au sujet des précédentes
propositions, c'est que nous ne proposons rien de véritablement nouveau
puisque depuis les premières injonctions institutionnelles à
produire des projets pédagogiques, il est recommandé d'effectuer
une analyse des problèmes localement rencontrés dont certains
sont interprétés en "analyse des besoins des élèves"
. Nous n'avons aucun argument à opposer à une telle critique
sauf qu'il est tout à fait impossible d'établir une synoptique(29)
complète des besoins des élèves (ainsi que nous l'avons
démontré dans la partie précédente) et qu'il nous
paraît nécessaire, pour un équipe d'enseignants, de toujours
affiner la connaissance des problèmes, par activité sportive
enseignée, de toujours chercher à progresser dans cette connaissance
des problèmes et de faire en sorte qu'elle constitue une mémoire
objective, faillible, accessible et utilisable pour les nouveaux enseignants
et pour l'inspection pédagogique. Une autre critique, que nous jugeons
plus cruciale, consisterait à qualifier d'utopique le fait de vouloir
soumettre certains problèmes relatifs à l'éducation
physique et sportive dans un établissement scolaire, à des
démarches d'investigations expérimentales, ou "quasi-expérimentales"
comme nous l'avons écrit plus haut. Et que c'est finalement la démarche
fragmentaire qui est utopique. Là encore il nous est difficile d'invalider
totalement une telle critique car il est par exemple facile de supposer que
la majorité des enseignants ne soient pas spécialement motivés
et formés pour approcher les problèmes professionnels qui sont
les leurs selon des méthodes scientifiques, que ces méthodes
sont lourdes et difficiles à mettre en oeuvre, et que le plus souvent,
des méthodes plus intuitives, reposant sur l'expérience subjective,
permettent la même efficacité tout en étant infinimement
plus souples et rapides dans la pratique. En fin de compte, ce serait ces
méthodes dites intuitives et subjectives, qui concrétiseraient
la réalité méthodologique de l'approche fragmentaire
que nous proposons. Face à de tels arguments que nous jugeons cruciaux
nous ne pouvons que réaffirmer les points suivants :
- par méthode "quasi-expérimentale", nous pouvons entendre une
méthode qui tenterait d'objectiver au maximum les tentatives de résolutions
de problèmes locaux, l'évaluation des résultats et les
prises de décisions issues des mises en relation explicites et concertées
effectuées entre les résultats attendus et les résultats
obtenus.
- aucune équipe pédagogique ne peut guider et faire progresser
une situation locale sans, un jour ou l'autre, essayer de formuler de manière
aussi précise et claire que possible les problèmes rencontrés,
les solutions à envisager, l'évaluation de ces solutions, et
les nouvelles décisions à prendre.
- il ne peut y avoir d'action pédagogique commune efficace dont les
objectifs restent à un stade implicite, non formulé. Dans de
telles conditions nous pouvons même dire qu'il n'y a pas d'action pédagogique
commune du tout.
Nous tenons à affirmer encore deux convictions :
- il n'y aucune connaissance définitivement vérifiée,
ou Savoir, pour guider nos stratégies pédagogiques ou didactiques
futures. Il n'y a aucun Savoir, sauf comme idée directrice ,
jamais parfaitement atteinte, pour relativiser des finalités pédagogiques
(ou des mises en perspectives), et fonder l'élaboration de projets
pédagogiques, de cycles, de séances, de tâches d'apprentissages,
de critères de réussite (en E.P.S.).
- il est patent que dans de nombreux cas, les difficultés extérieures,
ainsi que nous les avons décrites plus haut, sont loin d'être
négligeables et faciles à gérer, et suscitent lassitude
et écoeurement. Et notre point de vue précédemment développé,
à de quoi laisser croire que nous pensons que toutes les fautes et
les responsabilités sur l'échec des élèves doivent
nécessairement et en dernier ressort être reconnues et assumées
par les enseignants, de leur manque de performance au niveau de ce que l'on
peut nommer leur "productivité créatrice". Voilà un
jugement que certains ne manqueront pas d'utiliser pour amalgamer de façon
pitoyable tout ce qui ne fonctionne pas dans l'Ecole, à la compétence
des enseignants. La logique d'un tel raisonnement si facile d'accès,
est bien entendu trop réductrice pour rendre compte des réalités,
elle est aussi, hélas, la plus couramment utilisée par ceux
qui ne connaissent pas les problèmes par ce qu'ils ne les vivent pas
de l'intérieur de la situation d'enseignement.
Mais nous avons tenté d'adopter un point de vue qui nous place du côté
de celui qui s'interroge aussi sur des problèmes théoriques
fondamentaux relatifs à l'action pédagogique, celui du praticien.
Ceci nous a conduit à donner l'impression de minimiser, le rôle
des parents (pour ne citer qu'eux) dans l'éducation de leurs enfants.
Alors disons une chose, espérant que cela nous absoudra d'une fausse
partialité : même si nous n'en avons pas parlé, les parents
sont ceux sur lesquels repose, en tout premier lieu, la responsabilité
de l'éducation de leurs enfants, avant toute action d'un système
d'enseignement organisé. Lorsqu'il nous arrivent, dans les classes,
des élèves dont l'attitude est parfaitement intolérable,
il est utopique et démagogique de croire et d'affirmer que c'est au
système de pallier à tout ce qui aurait du être fait
au niveau du cercle familial. Notre système (l'éducation nationale)
est un système humain, il est donc faillible et limité, il
suppose donc un activisme permanent pour son amélioration, mais cet
activisme de fait ne saurait justifier de demander aux enseignants d'être
la mère et le père et le grand-frère et le psychologue
et le planificateur pédagogique et l'enseignant et le chercheur. Les
enseignants ne peuvent cristalliser sur eux toutes les "nécessités"
d'un rêve d'idéal pédagogique .
Rien de
ce que nous affirmons dans cette partie n'est inconnu des enseignants, et
plus encore des chercheurs en didactique ou en pédagogie, sauf peut-être
l'utilisation que nous faisons de certaines thèses de Karl R. Popper.
Mais c'est le constat, périodique, de situations de blocage dans notre
propre vie professionnelle, qui nous motivent, en partie, à développer
ces arguments. Puisque de telles situations de blocage perdurent (mais nous
avons aussi connu des "passages à vide", des moments de scepticisme
quant à la portée réelle de notre mission éducative),
il n'est pas certain que nous ne faisons qu'enfoncer des portes ouvertes.
Un sceptisme dynamique (Popper) s'impose donc pour la lecture de
ces lignes !