"Déterminisme, utopies, et tentation totalitaire."
(Modifié le 01/03/2004. Je dois dire, quand même, que depuis sa première édition, l'inspiration de ce texte doit tout aux idées de Karl  Popper. Espérons qu'il ne se retourne pas trop dans sa tombe, et que j'ai été un bon élève.)

modifé le :14/08/2005

 

"Il est rare que la liberté se perde d'un seul coup."
(David HERME, cité par Friedrich A. HAYEK in : "La route de la servitude.").
 
 

"La mort d'un homme est une tragédie, la mort d'un  million d'hommes, une statistique."
(STALINE).


 
J'oserais dire que de "La solution finale" à "la Lutte finale"...il n'y a qu'un pas qui se franchit au pas de l'oie (les armées des deux camps marchaient au pas de l'oie pour parader)...et qui se mesure en millions de victimes (10 millions et 85 millions). Les questions qui me viennent à l'esprit sont les suivantes : est-ce que cette "marche" ne doit pas être inversée ? Je veux dire : n'est-on pas allé de "la lutte finale" à la "solution finale" ? Les tenants de la première utopie n'ont-ils pas inspiré dans leurs méthodes (voir les pogroms, la famine organisée en Ukraine qui tua 6 millions de personnes) les tenants de la deuxième ? A-t-on le droit de chercher qui est le plus coupable de crimes contre l'humanité entre les deux ? Pour  quoi faire ? Certains oseraient vous dire que "l'histoire à jugé" qu'une différence de quelques dizaines de millions de morts n'est qu'un "détail", voire une "statistique" (Staline). Mais attention à ces propos : ils pourraient laisser croire que nous voulons minimiser les horreurs des aventuriers du nazisme pour mieux mettre en exergue celles du marxisme vulgaire (le communisme) à des fins douteuses, ou que sous cette prose infâme se dissimule une provocation révisionniste, ou encore, que nous pensons, comme l'écrivit Hegel, que "l'histoire est le tribunal du monde" ! Ce que vous allez lire maintenant risque de prêter le flanc à une franche rigolade pour ceux qui considèrent les problèmes évoqués comme dépassés ou plus d'actualité. A ceux-là nous répondons qu'il faut se méfier de vouloir rire de tout compte tenu du nouvel "essor" du nazisme et de l'antisémitisme sur Internet par exemple, et de la vitesse de propagation des idées que ce moyen d'information et de communication permet. "L'ère de l'information" dont parle Bill Gates a eu des effets sur le renouveau de doctrines que n'avaient sans doute pas prévu ceux qui s'indignaient et criaient "plus jamais ça".
 

Trêve (?) de mauvaise polémique : faut-il renoncer également à se poser le problème suivant : pourquoi devrions nous pratiquer une "hypermnésie" du génocide juif et une "hyperamnésie" des crimes du communisme ? (L'on pourra se référer au numéro spécial de la revue "Histoire" consacrée au crimes du communisme). D'autres questions méritent d'être posées, (en tous cas, si elles ont déjà été posées et si on y a déjà superbement répondu, je pense que ne pas oublier ces questions et leurs meilleures réponses fait partie du "fardeau de la raison" (Popper) que doit endosser tout homme libre à qui il incombe de se cultiver en la matière) et Hannah Arendt, Popper, Hayek, Russell, Monod, pour ne citer qu'eux, les ont posées : il s'agit de se demander quelles doctrines, idées philosophiques, théories scientifiques ou pseudo-scientifiques peuvent bien inspirer les doctrines du totalitarisme et de l'élimination en masse (comme, par exemple, le programme d'élimination de l'ensemble de la population noire en Afrique du Sud, qui fut conçu sous le régime de l'apartheid. Les concepteurs de ce programme avaient prévu une véritable contamination bactériologique des noirs par les procédés suivants : utilisation de virus tels Ebola ou Sida...ou d'autres types de virus permettant de stériliser les femmes noires ou de tuer sélectivement les noirs. Ces informations ont été diffusées à la radio "France info" le jeudi 31 mai 2001 au sujet d'un livre qui parle en détails de ce programme et dont je n'ai pu relever les références pour le moment.), ou de comprendre quels peuvent être les "engagements ontologiques" d'un "programme totalitaire" de transformation de la société. Nous avons parlé précédemment d'Internet, mais n'oublions pas que les médias plus vulgarisés comme la télévision  ou la presse écrite, lorsqu'ils se contentent du suivisme idéologique de quelque pensée unique ou deviennent des instruments de propagande, peuvent constituer de très puissants moyens de contrôle des masses et représenter les plus grands dangers contre la démocratie. Un parfait exemple de ceci est l'emprise réalisée depuis des décennies sur la société française par le freudisme et la psychanalyse, emprise orchestrée par Elizabeth Roudinesco dont l'influence auprès des médias de tout type est proprement stupéfiante et inquiétante également. En fait, il serait sans doute plus juste de craindre l'émergence puis l'impossibilité d'éliminer ce genre d'oppression qu'une forme de totalitarisme plus "brutale". L'émergence d'un programme totalitaire de transformation de la Société est toujours possible, sous une forme plus ou moins sophistiquée. Et que ceux qui ont une confiance aveugle dans les potentialités de nos démocraties modernes à annihiler le totalitarisme, sachent bien qu'il n'y aura jamais assez d'éléments d'information dans l'histoire ou dans le temps présent pour rendre possible la prédiction d'un tel programme avec toute la précision requise calculée à l'avance. Celle-ci nous permettrait d'être absolument sûrs de pouvoir anticiper ce programme afin d'en écarter définitivement l'occurrence. Mais rappelons également que rien ne garantit que de prétendues régularités historiques se répèteraient exactement selon un même prototype (Popper).
 

Tout ceci donne à mes yeux encore plus d'importance au problème de l'éducation intellectuelle et philosophique de mes concitoyens, de l'éveil et du maintien de notre esprit critique et de la sauvegarde d'institutions permettant la discussion critique nécessaire au progrès des connaissances scientifiques. Parce que je considère qu'une prise de conscience efficace du danger que représente la tentation du totalitarisme (par une prise de conscience de ce qu'il y a de séduisant dans les fondements philosophiques des doctrines totalitaires), passe en tout premier lieu par une connaissance de l'histoire des idées et des doctrines philosophiques qui ont toujours favorisé son émergence, bien que l'on ne puisse attribuer l'émergence des diverses formes de totalitarisme connues aux seuls effets de quelques théories. Nous conjecturons que cette tentation du totalitarisme peut très bien naître du fait que certains peuvent être déçus de la démocratie, ou du refus d'abandonner le rêve qu'il est possible de construire une société sans défaut, ou même des institutions si parfaites qu'il ne serait plus jamais nécessaire d'en assumer le bon fonctionnement. Mais il n'y aura jamais aucun système créé par l'homme qui puisse être parfait et le délivrer de ses responsabilités. "Vivre libre en société" suppose donc un activisme permanent et sans cesse amélioré : la lutte "finale" consiste davantage à éviter que le Mal ne l'emporte sur le Bien, parce que croire (ou faire croire) qu'elle consiste à faire en sorte que dans un avenir proche le Bien l'emportera définitivement, c'est commettre une grave erreur car de toutes nos actions nous ne pouvons prédire toutes les conséquences dont certaines sont souvent néfastes, et ce sont ces conséquences qui une fois identifiées nous décident ou non à les corriger ou à les éliminer. Il n'y a donc pas de "Lutte finale" qui ait un sens dans la mesure où nous pourrions un jour nous arrêter de "lutter". Et ceux qui ont cru en "La lutte finale" au cours du XXème siècle, en essayant d'en purger les éléments opposants ou "anti-progressistes", on eut recours à des actes dont les résultats ressemblaient bien à la fin du genre humain. Les meilleures fins que nous sommes en droit d'espérer sans risquer de commettre les horreurs des régimes totalitaires, sont à l'échelle humaine, elles ne relèvent d'aucun "Esprit universel" (Hegel) qui ferait des individus de simples moyens d'action. Par conséquent ces fins là ne supposent jamais que ceux qui doivent les "réaliser" n'en sont que les "simples formes vivantes", ou qu'ils s'identifient directement à la réalisation de la substance d'un quelconque "Esprit universel" (comme l'a malheureusement écrit Hegel). Les individus sont plus que de "simples formes vivantes" et il semble que Popper ait eu raison, de ce fait, de qualifier la philosophie hégélienne ainsi que les doctrines philosophiques ayant inspiré le totalitarisme, de "jargon irresponsable".
 

La doctrine philosophique qui représente pour moi "l'idée" la plus favorable à une nouvelle émergence du totalitarisme est d'abord la doctrine du déterminisme prima faciae et absolu puis celle de l'historicisme qui lui est logiquement corrélée comme le démontre Karl R. POPPER (Voir les livres suivants: "L'univers irrésolu, plaidoyer pour l'indéterminisme." et : "Misère de l'historicisme"). Le déterminisme prima faciae et absolu suppose que nous aurions le pouvoir de prédire l'avenir ou le comportement de quelqu'un, ou les événements de sa vie psychique, avec n'importe quel degré de précision donné à l'avance parce qu'il serait possible de détenir des théories qui permettraient ce genre de prédiction, en maîtrisant avant la prédiction toutes les conditions initiales avec une précision et une exactitude mathématiquement parfaite.  Ces théories déterministes auraient donc, en elles-mêmes, suffisamment de contenu informatif pour prédire le cours de l'histoire en étant capables de fournir à l'avance une description parfaite de l'état futur de la Société, ou pour expliquer, en excluant toute part de hasard, les causes des événements de la vie psychique (les émotions, les représentations) de tout individu ou même du plus insignifiant de ses comportements ou "actes manqués". Mais ces théories, parce qu'elles supposent l'élimination du hasard, sont  liées à l'obligation de rendre compte de niveaux de précision absolus dans les conditions initiales, donc inaccessibles pour leurs prédictions, et ne peuvent donc jamais réaliser de telles prédictions qui demeurent hors de portée de l'intelligence humaine et à fortiori d'une quelconque machine conçue par l'homme, à moins de supposer, comme Laplace, la possibilité d'un "Démon", c'est-à-dire d'une intelligence surhumaine  capable de connaître toutes les lois de la Nature et toutes les conditions initiales liées à l'application de ces mêmes lois (Popper) avec un degré infini de précision, ce qui est impossible. Il ne peut être donné à aucun être humain ou aucune machine de sonder suffisamment loin l'infini pour savoir en quoi consiterait (précisément) le contenu d'une "infinie précision", que ce soit dans le cadre d'un projet de prédiction, pour l'être humain, ou d'une tâche d'observation, pour la machine. De ce fait, une "infinie précision" est une proposition qui ne peut avoir de contenu réel parce qu'elle reste insondable pour l'homme. Il n'y a donc pas "d'infinie précision" et par suite pas de prédiction possible selon la doctrine déterministe critiquée par Popper. En effet, si l'on pouvait connaître avec exactitude les "motifs d'agir" de chaque être humain, ne serait-il pas possible d'établir une synoptique complète des besoins de chacun selon une hiérachie exhaustive des valeurs, donc de justifier un projet global et infaillible de transformation de la Société, chose que réfutent Friedrich Von Hakek et Karl R. Popper, et par suite de régir entièrement l'ordre social présent et futur ? La psychanalyse qui, avec sa théorie de l'inconscient, exclue toute part de hasard dans la vie psychique et toute possibilité de non-sens psychique (Jacques Bouveresse) ne risque-t-elle pas d'inspirer, ou n'a-t-elle pas déjà contribué à inspirer des idées de cet ordre ? . Popper : "si la doctrine déterministe est vraie, il devrait en principe être possible à un physicien ou à un physiologue ignorant tout de la musique, de prédire, par l'étude du cerveau de Mozart, les endroits sur le papier que celui-ci touchera." (in: "L'Univers irrésolu, plaidoyer pour l'indéterminisme"). Bien sûr, un partisan du déterminisme absolu dira que les individus opprimés sont aussi déterminés à agir pour se libérer puisqu'ils ne peuvent plus supporter leurs oppresseurs. Ce déterministe dira sans doute que le courage de ceux qui se libèrent de l'oppression est déterminé par des lois biologiques, génétiques, ou sociologiques, et que finalement ce sont leurs gènes ou la "Société" qui décident à leur place, ou leur inconscient, bref qu'ils ne sont pas "libres". Il dira aussi que lorsque la biologie aura parachevé sa tâche,  nous pourrons prédire les massacres, les attentats suicides, les guerres et les révolutions ! Henri Atlan écrit : "En ce sens, la biologie semble achever cette conquête du déterminisme absolu et, par conséquent, éliminer complètement la réalité de notre expérience de liberté, conçue comme une capacité de libre choix efficiente." Henri Atlan, in : "La science est-elle inhumaine ?" Essai sur la libre nécessité. Edition Bayard. Page 21. Nous ne croyons pas que ce genre de déterminisme, s'il doit être fondateur de lois scientifiques, puisse être absolu, il ne peut être que relatif et constituer une "idée directrice" pour la recherche : nous avons le droit de penser que nous sommes "déterminés" par des processus génétiques, parce que nous croyons en certaines causes sur certains phénomènes, mais cette croyance ne peut elle-même être fondée que par le fait que les causes identifiées ont été testées scientifiquement et corroborées, donc qu'elles ne sont pas des causes absolues et définitives et que notre connaissance sur elles peut toujours être enrichie grâce à de nouveaux tests inédits. Certes, le sens commun et sa logique, permet aux gens de penser que certaines de leurs croyances peuvent être légitimement "fondées", notamment par la logique inductive, mais ils ignorent le plus souvent que c'est la logique de la découverte scientifique, hypthético-déductive, qui, grâce à sa méthode, permet de trancher entre légitimité d'une croyance au niveau du sens commun et légitimité de cette même croyance au niveau scientifique. Nous ne nions pas que certaines croyances peuvent êtres "vraies" au niveau du sens commun, mais notre conviction (ne reconnaissant pas pour autant un pouvoir absolu à la science), qui prend racine dans celle en la supériorité de la méthode scientifique décrite par Popper, nous amène à penser que ce sont les théories scientifiquement corroborées qui sont les plus proches de la Vérité objective et non les théories issues de la logique du sens commun. Comme l'a démontré Popper, dans bien des cas, la science se nourrit du sens commun, mais permet de le dépasser. C'est le fait que les causes corroborées selon la méthode scientifique, c'est-à-dire, certains énoncés universels au sens strict assortis de conditions initiales, soient toujours potentiellement réfutables par l'expérience et engendrent de nouveaux problèmes, qui incite donc l'homme de science à diriger ses recherches vers des niveaux d'explication par les causes, toujours plus affinés et "déterminés" mais jamais achevés. Car si la biologie est vraiment une science, alors elle restera à jamais inachevée, tant que les biologistes voudront s'approcher de la Vérité certaine qui est leur idéal inaccessible. "Je suggère que donner une explication causale d'un certain événement spécifique signifie déduire un énoncé décrivant cet événement à partir de deux sortes de prémisses, c'est-à-dire à partir de certaines lois universelles, et à partir de certains énoncés singuliers ou particuliers que nous pouvons appeler conditions initiales particulières." Karl R. Popper, in : "Misère de l'historicisme". Edition Agora, presses pocket. Page 154.
 

Une des conséquences des théories déterministes ou historicistes, c'est de fonder des idéologies qui peuvent donner l'illusion de rendre inutile la responsabilité individuelle de chaque membre de la Société dans la mesure où l'avenir serait scientifiquement prédictible (l'idéologie marxiste ne prévoyait-elle pas la fin de la lutte des classes après l'avènement du prolétariat comme classe dominante, ce qui fut son erreur fondamentale puisque comme l'a fait remarquer Popper, la fin de tout conflit social et politique est incompatible avec la démocratie, avec le principe de liberté d'opposition et ses implications ?). Mais ce qui est prédictible à un niveau authentiquement scientifique ne peut être absolument certain. Les véritables prédictions scientifiques, parce qu'elles sont réfutables, demeurent toujours ouvertes à la discussion critique, et l'application d'idéologies historicistes ne peut tolérer la discussion critique mais seulement un activisme qui aille dans le sens de leurs prophéties socio-historiques. Dans son livre : "La science est-elle inhumaine", Henri Atlan écrit : "dès que l'on peut prédire un événement futur par une loi, cet événement existe en quelque sorte déjà dans la connaissance qu'on en a et le futur n'apportera rien de plus." Cet argument de l'auteur, fondé par une croyance ferme dans le déterminisme absolu, semble assez proche de l'argument (erroné) de Kant selon lequel la connaissance peut être valide à priori, sauf que la connaissance à priori est toujours hypothétique quand il s'agit de prédictions. Mais la seule connaissance que nous ayons de l'événement prédit avant qu'il ne se produise réellement, n'est qu'une anticipation de cet événement, une conjecture, elle n'est pas l'observation de l'événement produit et de ce fait ne nous renseigne pas encore sur son degré de correspondance  avec le résultat de la prédiction. Car, comme l'a soutenu Alfred Tarski, et, à sa suite, Karl Popper : "un jugement est vrai lorsqu'il correspond aux faits"; cela signifie que nous ne pouvons évaluer le résultat d'une prédiction, qu'à posteriori, selon le degré de correspondance des faits produits avec les faits prédits ou conjecturés. Il est alors plus aisé de comprendre que, premièrement, un jugement ou  un énoncé, est vrai, selon son degré de correspondance avec des faits empiriques, et que, deuxièmement, il est nécessaire de disposer d'un méta-énoncé pour parler de la correspondance entre cet énoncé (qui parle de certains faits) et les faits évoqués. (Pour ces questions sur le problème de la vérité comme corresondance avec les faits, on peut se reporter au livre de Karl  Popper : "Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de connaissance". Edition : Hermann. Pages : 12 et 13). Par conséquent écrire que "le futur ne nous apportera rien de plus" est une erreur parce que nous ne pouvons savoir, avant que la prédiction se soit réalisée, ce que le futur nous réserve parce qu'il nous est impossible de le prédire avec une exactitude parfaite ou que nous ne pouvons inventer une machine permettant de nous envoyer dans le futur , ce qui ramène toutes les prédictions que nous pouvons formuler au niveau de simples conjectures. Ce que le futur nous réserve, très souvent, ce sont des réfutations même partielles de nos prédictions, puisque celles-ci ne peuvent se réaliser tout à fait parfaitement. Ce n'est que parce que nous avions anticipé, avec une précision relative, une certaine marge d'erreur ou bien parce que nous décidons d'accepter la nécessaire imperfection dans la réalisation d'une prédiction que nous la validons. Ceci nous contraint toujours, dans le domaine scientifique, à renoncer au déterminisme absolu, et à décider, que les théories scientifiques les mieux corroborées ne peuvent avoir atteint aucun degré de certitude, donc relever d'aucun déterminisme absolu. C'est une des raisons pour laquelle le marxisme vulgaire, chaque fois qu'il a été appliqué, a été réfuté par l'expérience humaine, fondamentalement labile et grande génératrice d'erreurs, dans la mesure où la prophétie marxiste au lieu de se réaliser, a scellé le sort de ses infortunées victimes envoyées par dizaines de milliers à la mort ou dans les goulags, parce que chacune d'entre elles constituait une mise en échec possible et évidente de l'utopie planificatrice totalitaire du stalinisme. C'est la seule issue réservée par les idéologies historicistes ou déterministes à ceux qui n'en sont que les moyens et non les fins. L'échec cuisant du stalinisme et du nazisme réfute le déterminisme absolu, il montre que la liberté des individus n'est pas une illusion, contrairement à ce qu'écrit Henri Atlan dans son livre ("le déterminisme absolu où tout est prévu s'exerce à travers nos choix eux-mêmes qui nous sont donnés comme une possibilité, sans qu'ils puissent pour autant changer quoi que ce soit dans la chaîne des causes. Nous avons la possibilité de jouer à être libres tout en devant prendre conscience qu'il s'agit là d'une illusion." Page 54), mais une force réelle puisque c'est aussi l'imprévisible et l'incalculable jeu des relations entres les individus de l'Union soviétique qui a fini par mettre en échec une idéologie et un système d'oppression pourtant conçu pour contrôler la population au maximum. Mais aucun système, même le plus autoritaire, ne peut contrôler indéfiniment toutes les contingences, toutes les occurrences possibles qui naissent spontanément des relations entre les gens et qui créent elles-mêmes de nouveaux problèmes imprévisibles. L'Union Soviétique toute entière, même au temps de Staline, était soumise, malgré l'autarcie, à des contingences intérieures et extérieures inévitables et contraignantes comme le contrôle des autres états vassaux (la Hongrie, la Tchékoslovaquie, l'Allemagne de l'Est...), la course aux armements ou la conquête spatiale, l'entraînant dans une impasse économique et finalement à l'implosion. Tout cela provoquant un ensemble de conséquences imprévisibles qui démontrent que la liberté, même étouffée, existe bel et bien (au-delà d'un déterminisme qui pourrait l'anticiper donc la contrôler totalement), et que, tout comme la Vie ou la Vérité, "elle finit toujours par trouver un chemin". Le Mur de Berlin, né du clivage entre l'Est et l'Ouest, était le dernier rempart de protection des certitudes utopistes et idéologiques, pour le régime d'Union Soviétique, fondé sur le déterminisme absolu et l'historicisme. Mais la liberté, comme manifestation inattendue d'un désir trop longtemps réprimé, s'insinuant d'abord hors de l'Allemagne de L'Est via la Hongrie, s'est enfin révélée, puis cette force colossale et pourtant humaine, a fini par renverser des barrières que l'on croyait définitives. Non, les allemands de l'Est n'ont pas "joué à être libres", ils ont agit en hommes et femmes maîtres de leur destin, et en refusant toute destinée préétablie, ils ont brisé leurs chaînes.

Une autre des conséquences désastreuses de telles théories (fondatrices d'idéologies comme le marxisme ou de mythologies comme la psychanalyse) c'est donc, d'une part, qu'elles permettent de nier le libre arbitre humain, et d'autre part, que cette négation peut entraîner la justification de pratiques visant à supprimer la liberté individuelle. Dans cette mesure, pourquoi tolérer le "libre jeu indéterminé des relations interindividuelles" risquant de faire obstacle à la réalisation d'un grand Idéal, puisque nous détenons des théories, fondatrices des projets de poursuite de cet idéal, qui dans leur contenu démontrent que ce libre arbitre, au fond, ne peut exister, ou qu'il n'est qu'illusion, voire utopie !! Pourquoi ne pas penser que la suppression des libertés individuelles peut s'avérer tout à fait justifiée dans la mesure où l'existence de ces libertés peut gêner la réalisation de ce qui est présenté comme une forme de bonheur suprême ?  Pourquoi ne pas s'autoriser  à penser concevoir de tels programmes de transformation de la Société, quitte à devoir (re-)commettre les pires abominations, en ayant au préalable complètement bouleversé notre système de valeurs morales, si nous croyons que ces programmes sont légitimement fondés par des théories dont la scientificité et la valeur objective ne feraient prétendument aucun doute ? (Nous pensons qu'il ne faut pas confondre cette quête d'un prétendu bonheur suprême, tout à fait utopique, par la voie du marxisme et de la dictature du prolétariat à ce qui s'apparente à la doctrine utilitariste du libéralisme classique d'Adam Smith ou de John Stuart Mill, selon laquelle il est parfaitement justifié, dans des cas d'urgence (comme une catastrophe naturelle ou une pandémie) de limiter voire de supprimer temporairement certaines libertés dans l'intérêt général, c'est-à-dire, comme le précisent ces théoriciens du libéralisme, "le plus grand bonheur possible pour la collectivité". En effet, le marxisme vulgaire propose d'atteindre le "bonheur suprême" de manière entièrement planifiée à l'avance, donc utopique, ce qui s'oppose à la socio-technique fragmentaire préconisée par Karl Popper dans son livre : "la société ouverte et ses ennemis").
 

Le déterminisme et l'historicisme contribuent donc à éliminer l'individu et la liberté individuelle en éliminant sa responsabilité parce qu'elle devient entièrement subordonnée à des buts qui l'écrase complètement. Ces doctrines contribuent aussi à nuire au progrès de la Science parce qu'en certaines circonstances (un régime totalitaire par exemple) elles rendent plus difficile voire impossible la libre discussion critique qui est logiquement requise pour la mise en oeuvre des tests intersubjectifs que nécessite le progrès des connaissances scientifiques.
 

Chacun peut tenir compte de ces questions comme ça lui chante. Mais puisque tellement de personnes sont encore séduites par des théories reposant sur l'espèce de déterminisme que nous évoquons, ceci est peut être la preuve que de telles croyances existent bel et bien. Et ceci tend à prouver également que l'émergence du totalitarisme ("La bête immonde" selon un certain humoriste que nous n'aimons pas) est toujours possible, tout comme le bacille de la peste, si nous renonçons à une certaine forme d'activisme intellectuel, qui se veut d'abord critique sur nos traditions et nos institutions, tout en ne cédant rien à la morale, et à une éthique orientée par une fin suprême : l'individu humain.
 
 

Patrice VAN DEN REYSEN
 



 

"La connaissance de plus en plus poussée des mécanismes physico-chimiques conduit inévitablement à la conception d'un déterminisme qui ne laisse que peu de place au libre arbitre, sinon aucune." (Henri Atlan, in: "La science est-elle inhumaine ?" Essai sur la libre nécessité. Edition:  Bayard. Page 20).

 
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