Au sujet de la famine en Ukraine.
(auteur : Ocapi).


Voici le contenu d'un courrier que j'ai reçu d'un internaute (Ocapi) au sujet de la famine en Ukraine et de la stratégie stalinienne. Nous remercions son auteur de nous avoir fourni ces informations.

 
"(...) Dans le cas particulier des famines en Ukraine (1932-1933), il suffit de
faire un tour sur Internet pour découvrir que c'est un sujet polémique par
excellence ou la mauvaise foi le dispute à la bataille ideologique. On peut
aussi ajouter que cette famine est très mal connue, les dirigeants de
l'époque ayant toujours nié sa réalité.

Pour clarifier les choses, je retiens 2 points importants :

1) La Russie du début du siècle (et la region) connait famines sur famines -
quasiment une chaque année et ce au point que les rapports sur les cas de
cannibalisme ne sont pas rares ! C'est dire l'ampleur de la misère du monde
paysan. Il y a déjà des millions de morts AVANT la Révolution de 1917.

2) Si tout le monde n'est pas d'accord sur le terme de "Révolution
Industrielle", il y a bien une chose sur laquelle tout le monde s'accorde :
La nécessité d'une "Révolution Agricole" AVANT celle de l'industrie. Et ce
point de vue ne date pas d'hier puisqu'Adam Smith notait déjà (dans les
années 1770) que le produit de l'agriculture se devait d'aller vers
l'industrie naissante.

A ce stade, on peut partiellement résumer les choses : On voit mal comment
lancer une "Revolution Industrielle" avec une agriculture dans un tel etat
et sans qu'il y ait des dégats.

Il semble bien qu'en Russie, l'échec de la 1ere industrialisation (1890)
soit attribué a la paysannerie qui malgre l'abolition du servage, n'a pas
"participé" assez activement a l'effort de croissance nécessaire pour
assurer les changements de production et d'organisation du travail
qu'imposait la "Révolution Industrielle".

Il est facile de comprendre que la "Révolution Industrielle" repose aussi
sur une "Révolution Agricole" qui fait passer d'une agriculture de
subsistance (la plupart des travailleurs vivent a la campagne et cultivent
eux-meme un petit loppin de terre, meme s'ils participent par ailleurs a
l'activité industrielle dans des "fabriques") à une agriculture de
production de masse (avec l'outillage adequat, l'organisation du travail et
des méthodes "modernes" de production, notamment par la sélection des
semences ou l'abandon des jachères).

En effet, la "grande industrie", le symbole de l'ère industrielle, a besoin
de concentrer la main d'oeuvre dans des zones urbaines, dans une activite
specialisée et strictement de production industrielle. Et il faut nourrir
ces travailleurs qui ne participent plus, de loin ou de près, à la
production agricole.

Partout ou le monde paysan reste enraciné dans ses traditions, ses méthodes,
son organisation de la distribution des terres, la "Révolution Agricole"
patine. Ailleurs, la redistribution des terres, le remembrement, la
transformation des petits paysans, des métayers et autres travailleurs
journaliers en salariés, la mise en oeuvre des techniques nouvelles, une
"collectivisation" en quelque sorte, imposée par la concurrence (les terres
sont rachetées, regroupées et des cycles de culture organisés, planifiés,
etc), va conduire à une agriculture "de marché" (pour le plus grand profit
de riches propriétaires).

A partir de là, on peut facilement supposer que Staline n'ait pas souhaité
"perdre son temps" avec une paysannerie arqueboutée sur ses traditions
séculaires et attachée à ses méthodes de production. Plutôt que de
ralentir l'effort d'industrialisation et de limiter la capacité d'expansion
de l'industrie, sachant que cette agriculture ne fournirait pas entre-temps
un marche supplémentaire pour les produits industriels (machines agricoles),
il ait préfèré accroître le prélèvement qu'on a vu néccessaire pour la
nouvelle classe de travailleurs, sans attendre un sursaut de cette
agriculture. Evidement, un prélèvement supplémentaire sans productivité
supérieure, conduit à une spoliation pure et simple du produit de ces
agriculteurs, dans les conditions de réquisition que l'on sait, et au bout
du compte à affamer ces paysans.

Je pense que l'échec de la 1ere industrialisation en Russie a beaucoup pesé
dans ces choix "stratégiques". Le 1er plan quinquénal de Staline (1930) fixe
en effet des objectifs irréalistes de production agricole. Cela n'empêche
pas que l'on retire aux paysans la quantité de récolte voulue. Ajoutons à
cela, que le modèle d'organisation de la production agricole va s'imposer
aussi par la force. Comme je l'ai souligné un peu plus haut, le modèle de
production agricole se "collectivise" partout pour apporter le supplément de
production. Meme si dans les pays "capitalistes" ce n'est pas le terme qu'on
emploie, cela revient au meme.

Jusqu'ici, je suis resté assez "technique". On entre maintenant dans la
partie la plus polémique du sujet. Peut-être que le paysan ukrainien est
plus conservateur et plus individualiste qu'ailleurs en Russie ou en
Biélorussie par exemple. De fait, plus retord a la collectivisation
qu'ailleurs. Et que le Parti ait souhaité faire un exemple. En tous cas,
certains propos de Staline et de ses collaborateurs laissent penser que l'on
a mené une véritable guerre contre les "kulaks" (les paysans ukrainiens) en
utilisant l'arme de la famine. Staline aurait laissé entendre que la famine
avait été choisie du fait qu'il n'y avait pas d'endroit ou déporter les
ukrainiens, trop nombreux.

J'ajouterai pour terminer, qu'il y a encore aujourd'hui, bien que les faits
soient avérés par nombre de temoins et notamment des membres du Parti et des
responsables charges d'exécuter les plans de Staline, des négationistes sur
le sujet. Ce qui évidemment peut être mis en doute, c'est la réalisation
"volontaire et delibérée" d'un plan voué à la seule extermination.

Je n'adhère pas non plus à cette idée. Je pense que c'est le risque d'un
nouvel échec de l'industrialisation (donc après celui de 1890), du fait de
l'inefficience de l'organisation agricole, qui a été le principal moteur de
ces choix tragiques. Ce qui n'excuse rien. J'ajouterai que les pays
"capitalistes" ont aussi fait payé au prolétariat un prix formidable pour
l'essor industriel: Celui d'une immense misère, du travail des enfants, etc.
Un prix qui apparait peut-être moins élevé, mais si on tient compte de
conditions initiales plus favorables... Sans oublier LA grande famine
d'Irlande, au 19e siècle, du fait d'une maladie qui avait ravagé les champs
de pommes de terre, et à laquelle la cour de la Reine Victoria a répondu par
la politique du "laissez-faire" ! Plus d'un million de morts et des millions
d'irlandais poussés à immigrer. Je m'arrête là, parce que ça me fait
penser à ces débats sordides ou des idéologues d'un autre âge se jettent les
cadavres à la figure.(...)"
 

Ocapi.
(le 18/09/2003).
 


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