Une discussion avec
Pierre-Henri Castel* ,
sur quelques problèmes
épistémologiques relatifs à la critique d'Adolf Grünbaum
au sujet de la théorie des rêves de Freud.
*(psychanalyste,
membre de l'ALI (Association Lacanienne Internationale), chargé
de recherches au CNRS (Philosophie des sciences, IHPST-Université
Paris 1) et chercheur associé au CESAMES (Centre de Recherche Psychotropes,
Santé mentale et Société, CNRS-Université de
Paris 5)
Chers internautes, par ce bref échange avec Pierre-Henri Castel, on peut s'apercevoir qu'il est possible de discuter sans langue de bois avec certains psychanalystes qui ont le courage intellectuel d'affronter les critiques. Nos critiques se basent sur un texte remarquable de Pierre-Henri Castel intitulé : "le rêve de Freud est-il un cauchemar théorique ? Réponse à deux objections d'Adolf Grünbaum." Nous invitons le lecteur de cette page à d'abord lire l'article que vous trouverez sur son non moins remarquable site dont l'adresse est : http://pierrehenri.castel.free.fr/.
Courrier de Patrice Van Den Reysen, du 28/01/2005 à 10 h 28
Monsieur,
J'ai d'abord parcouru votre très
intéressant mais difficile article intitulé : "Le rêve
de Freud est-il un cauchemard théorique ? Réponse à
deux objections d'Adolf Grünbaum". Je commence maintenant une lecture
détaillée et attentive de votre article, que je n'ai pas
terminé, et, l'une de vos phrases, qui touche particulièrement
à mes centres d'intérêt sur la critique de la psychanalyse
m'interpelle. Vous écrivez que, je vous cite : "
Soit, pour commencer, la thèse
1. A. Grünbaum décortique le court exemple freudien en 3 prémisses,
qu'il réfute successivement. La rêveuse, une des plus "spirituelles"
(4) de toutes ses patientes hystériques, rêve le lendemain
du jour où Freud lui a expliqué que le rêve accomplit
un désir qu'elle part à la campagne avec sa belle-mère,
alors qu'elle avait tout fait pour l'éviter. Selon A. Grünbaum,
on peut en déduire que Freud croit:
1. Que ce contenu manifeste contredit
de façon flagrante sa théorie du rêve;
2. Qu'on peut en déduire que
le rêve est causé par le désir que Freud ait tort;
3. Que ce motif de désir est
la cause du contenu des images oniriques du rêve de la nuit.
Ces trois prémisses lui paraissent
extravagantes. J'opposerai pourtant point par point à la réfutation
proposée la contre-réfutation qui convient.
Réfutation 1. Elle est en
fait double. Vu que pour Freud les désirs sont ambivalents, rien
n'exclut logiquement que le contenu manifeste du rêve ne satisfasse
un désir d'accompagner la belle-mère,(...)"
Ce qui m'interpelle c'est, après
avoir exposé les trois déductions possibles de Grünbaum,
la précision suivante : "(...)Vu que pour Freud les désirs
sont ambivalents, rien n'exclut logiquement que le contenu manifeste du
rêve ne satisfasse un désir d'accompagner la belle-mère,(...)"
Si, comme je le souligne, et comme
vous le dites, rien ne peut être logiquement exclu par la théorie
des désirs ambivalents de Freud, n'est-on pas, alors, en droit d'affirmer
que cette théorie des désirs ambivalents est irréfutable
et n'a qu'un pouvoir pseudo-explicatif ? Je me permets de vous renvoyer
au livre de Grünbaum que vous critiquez et qui s'intitule "La psychanalyse
à l'épreuve", pages 15, 16 et 17 (Je vous remercie, au passage,
pour le lien que vous avez fait vers mon site, et qui, vu votre niveau de
réflexion et d'argumentation, me flatte certainement). J'ai essayé
de m'attaquer aux arguments de Grünbaum contre ceux de Popper au sujet
de la falsifiabilité de la psychanalyse, et je crois avoir démontré,
que Grünbaum n'a pas compris que Popper considérait les explications
données par les psychanalystes comme étant de pseudo-explications,
puisque comme le démontre, avec raison Grünbaum, une théorie
qui prétend fournir de véritables explications, doit logiquement
exclure certains faits, car comme n'a cessé de le marteler Popper
(à la suite d'Einstein) : "une théorie qui explique tout, en
fait, n'explique rien du tout". (http://vdrp.chez.tiscali.fr/Popper_Grunbaum.html).
Comme vous le voyez, ma question
concerne, ici, uniquement la falsifiabilité de la théorie
des désirs de Freud, que je crois irréfutable, puisque cette
théorie ne me semble pouvoir logiquement exclure aucun type de désirs
qui pourrait la contredire. Si vous le souhaitez, j'attends donc vos arguments
sur ce qui pourrait être une mauvaise compréhension de ma part
de la théorie de l'ambivalence en rapport avec l'irréfutabilité,
ou même de l'irréfutabilité, puisque je peux concéder
que vous avez nettement plus d'expérience et de connaissances que
moi en philosophie des sciences. Mais, je le répète, une théorie
qui peut englober, dans un même temps, la chose et son contraire, comme
par exemple la théorie : "tous les désirs ont à la
fois, pour chacun d'entre eux, les propriétés
"X" et "non-X", ne me semble pas pouvoir être réfutée
si l'on ne peut déduire aucun énoncé de base contradictoire.
Comme vous l'avez peut être
remarqué en parcourant les autres textes de mon site, je conteste
également la réfutabilité de la théorie de l'inconscient
associée à celle du refoulement, telle que Freud l'a conçue,
c'est-à-dire, nécessairement fondée par un postulat
qui me semble intenable (pour des raisons "poppériennes"), à
savoir, le postulat d'un déterminisme psychique prima faciae et
absolu (http://vdrp.chez.tiscali.fr/Determinisme2.html). Mais, par ailleurs
j'ai été convaincu que Popper, comme le démontre Grünbaum,
a eu tort, de laisser supposer que la psychanalyse était entièrement
irréfutable.
Puisque je vous tiens, personnellement, pour un psychanalyste éclairé, et honnêtement critique sur les faiblesses de la théorie de Freud, recevez, cher Monsieur, mes plus cordiales salutations.
Patrice Van Den Reysen.
Réponse de Pierre-Henri CASEL
Le 29/01/2005 à 16 h 15 :
Je crois qu'il y a un simple malentendu,
à deux niveaux.
1) J'écris:
Réfutation 1. Elle est en
fait double. Vu que pour Freud les désirs sont ambivalents, rien
n'exclut logiquement que le contenu manifeste du rêve ne satisfasse
un désir d'accompagner la belle-mère, désir dont rien
aux yeux d'A. Grünbaum ne prouve d'ailleurs l'existence, mais qui n'est
pas exclu dans le tableau qui nous est fait du rêve.
Je m'explique: on ne comprend pas
pourquoi Grünbaum dit ici que le contenu manifeste du rêve dément
la thèse de Freud, puisqu'il est d'accord pour accepter à
titre d'hypothèse que les désirs sont ambivalents. S'il accepte
cette hypothèse (qu'il ne discute pas ici), alors, logiquement, il
ne devrait pas dire que le rêve ne peut logiquement manifester un
désir d'aller voir la belle-mère. Je dois dire qu'ici, c'est
même assez intuitif: la patiente ne pense qu'à ça, même
en rêve, et donc ça la travaille, sur le mode de ne surtout
pas vouloir de ce désir. Comme je l'explique très en détail
ailleurs, c'est un critère d'identification du désir freudien
que de s'attacher à ces désirs que nous ne voulons pas avoir,
aux "désirs indésirables" (par exemple, sexuels, et contraires
à nos idéaux moraux).
2) La thèse de Popper, que
vous connaissez manifestement mieux que moi, porte sur l'usage d'un argument
dont les prémisses seraient logiquement telles qu'on ne puisse la
falsifier empiriquement. Mais il ne s'agit nullement ici de cela. Il ne s'agit
pas d'un argument, mais d'un concept. Or, il semble qu'il fasse spécifiquement
partie du concept de désir qu'on puisse désirer soit une chose
et son contraire, soit même des objets dont il est analytiquement
impossible qu'on les obtienne. C'est bien pourquoi on le reproche à
quelqu'un, s'il veut le beurre, l'argent du beurre, et le sourire de la crémière,
ou s'il veut à la fois et au même moment les avantages du mariage
et ceux de la vie de célibataire. Nul ne conteste que ces états
mentaux sont irrationnels, mais nul ne conteste non plus qu'ils existent.
En conséquence, on peut parfaitement
attaquer Freud sur l'usage qu'il ferait dans un argument de la notion
d'ambivalence (entendue grossièrement comme un désir qui
veut du bien et du mal au même objet), si cet argument n'exclut pas
logiquement certains faits, mais pas l'attaquer sur le concept d'ambivalence
comme une dimension habituelle de certains désirs, notamment sexuels,
concept qui peut être le concept d'une contradiction interne propre
au désir (qui fait d'ailleurs qu'on le juge très classiquement
irrationnel).
Dans l'affaire présente, le
rêve de démentir par le rêve la théorie de Freud
se complique d'une autre dimension, c'est que Grünbaum néglige
qu'il s'agit d'une patiente particulièrement "witzig", que ce qu'elle
dit du rêve est donc justement un trait d'esprit adressé.
Autrement dit, elle fait usage de son interprétation de son rêve
pour témoigner d'un désir particulier à l'égard
de Freud, dans le transfert. Mais l'hypothèse globale de Freud se
poursuit bien au-delà: il explique qu'il ne devrait pas y avoir justement
de rêve uniquement "pour le transfert". Et de fait, le même
rêve s'avère avoir un contenu encore différent, et témoigner
de désirs distincts, que la patiente aurait dit-il préféré
ne pas s'avouer, et par ricochet, ne pas avouer à Freud; d'où
son interprétation de son propre rêve comme contraire à
la théorie de Freud, au moment même où ce dont elle ne
veut pas, c'est que cette théorie s'applique à des désirs
inavouables autrement plus profonds.
Que penser de cette complication?
J'avoue que je ne sais pas bien.
Ma tendance est de lire ces choses
non comme des arguments en faveur d'une étiologie causale du rêve
par des désirs, mais comme des descriptions conceptualisantes très
étendues. Ainsi, il n'y a pas d'enchaînements déductifs
paradoxaux, mais l'explicitation des différentes strates internes
contradictoires qui caractérisent un désir. C'est sans doute
la raison pour laquelle nous pouvons à la fois créditer Freud
d'une certaine plausibilité psychologique (on comprend ce qu'il
veut dire, ce n'est pas une salade de mots), tout en lui reprochant de
faire passer pour des "mécanismes" psychologiques de nature hypothético-déductives
des systèmes imbriqués de motivations contradictoires et
donc irrationnelles.
Je vous signale d'autre part que
la logique de la déduction exploitée par Popper est formellement
très réduite, et délibérément simpliste.
On peut parfaitement utiliser des systèmes déductifs non-standards
(avec des sémantiques associées à base de mondes possibles)
pour réduire certaines aberrations apparentes. Par non-standard,
j'entends des systèmes déductifs où on supprime l'axiome
(si j'ose dire) "ex falso sequitur quodlibet", ce qui permet de formaliser
le traitement des énoncés contre-factuels.
Si Verdi et Bizet avaient été
compatriotes (F), alors (implication standard)... les poules auraient
des dents (F), 2+2= 4, (V) etc.
Mais dans les logiques de la fiction,
par exemple, on peut avoir:
Si Verdi et Bizet avaient été
compatriotes (F), alors (implication non-standard)... ils auraient été
tous les deux français, ou (disjonction stricte) ils auraient été
tous les deux italiens.
Tout le problème est de savoir
comment déterminer le caractère de vérité du
conséquent (car il est assez intuitif de dire que ces conséquents
ont "plus de vérité" que des énoncés entièrement
éloignés). En général, on explique que dans
l'implication non-standard des logiques de la fiction, les mondes possibles
ne sont pas tous indifféremment accessibles à partir de la
prémisse fausse.
Voilà qui un grand intérêt
pour capter certaines étrangetés, et pour délimiter
de façon plus rusée que par le simple principe de contradiction
associée à l'implication standard l'espace "des faits qui
sont ou non exclus". Dans les affaires psychologiques (fiction, croyances,
désirs, intentions), une logique non-standard de l'implication est
évidemment plus naturelle, plus conforme à nos intuitions,
que la version standard liée au raisonnement physico-mathématique.
Mais c'est pure spéculation.
A vous,
Pierre-Henri Castel
Réponse de Patrice Van Den
Reysen du 30/01/2005 à 14 h 47 :
Bonjour,
Tout d'abord, merci pour votre réponse argumentée, mais, si je puis dire, "les choses se confirment" : vous avez indiscutablement un niveau de d'analyse et de réflexion sur ces problèmes qui dépasse le mien (je le pense sincèrement). Mais, que voulez-vous, vous abordez des problèmes qui touchent directement ou indirectement à l'épistémolgie de Popper, et ça, ça m'interesse ! Alors, loin de prétendre férailler avec vous, je ne peux m'empêcher d'essayer de contre-argumenter avec les connaissances et le niveau d'analyse dont je dispose. Mais, bien sûr j'accepte par avance, toutes les remarques et critiques sur les erreurs, le manque de précision ou de rigueur dont je pourrais faire preuve.
Je reprends certains de vos propos
:
"(...)La thèse de Popper,
(...), porte sur l'usage d'un argument dont les prémisses seraient
logiquement telles qu'on ne puisse la falsifier empiriquement. Mais il
ne s'agit nullement ici de cela. Il ne s'agit pas d'un argument, mais d'un
concept. Or, il semble qu'il fasse spécifiquement partie du concept
de désir qu'on puisse désirer soit une chose et son contraire,
soit même des objets dont il est analytiquement impossible qu'on
les obtienne. C'est bien pourquoi on le reproche à quelqu'un, s'il
veut le beurre, l'argent du beurre, et le sourire de la crémière,
ou s'il veut à la fois et au même moment les avantages du
mariage et ceux de la vie de célibataire. Nul ne conteste que ces
états mentaux sont irrationnels, mais nul ne conteste non plus qu'ils
existent.
En conséquence, on peut parfaitement
attaquer Freud sur l'usage qu'il ferait dans un argument de la notion
d'ambivalence (entendue grossièrement comme un désir qui
veut du bien et du mal au même objet), si cet argument n'exclut pas
logiquement certains faits, mais pas l'attaquer sur le concept d'ambivalence
comme une dimension habituelle de certains désirs, notamment sexuels,
concept qui peut être le concept d'une contradiction interne propre
au désir (qui fait d'ailleurs qu'on le juge très classiquement
irrationnel)."
1°) Le fait de "vouloir le beurre,
l'argent du beurre, et, etc." ne me semble pas contradictoire en soi,
mais cela n'est qu'un point de détail. Par contre, comme vous l'écrivez,
un désir ambivalent qui veut un bien "X" et en même temps
un mal "non-X" est impossible.
2°) Vous dites, avec raison,
que : "la thèse de Popper,(...) porte sur l'usage d'un argument
dont les prémisses seraient logiquement telles qu'on ne puisse la
falsifier empiriquement., etc.. Mais je ne vois pas bien la différence
entre, d'une part, présenter une argumentation fallacieuse parce que
les relations logiques qui unissent les concepts les uns par rapport aux
autres est erronnée, ou que ces concepts eux-mêmes soient vides
de contenu, et, d'autre part, les prémisses mêmes d'une
argumentation fallacieuse lesquelles ne pourraient qu'être également
fallacieuses du fait de la défectuosité des concepts employés
à l'intérieur des prémisses ? En somme, il me semble
impossible à Freud, comme à tout autre personne, d'argumenter
sans concepts, en eux-mêmes logiquement valides.
3°) La question que je pose maintenant
est la suivante : est-il reéllement, c'est-à-dire empiriquement
possible d'avoir des désirs ambivalents (ou que " le concept d'une
contradiction interne propre au désir" soit viable) comme par exemple
avoir l'unique désir de vivre et de mourrir dans la même seconde,
la même émotion, la même représentation, que sais-je
encore ? Puis-je vouloir, en même temps, désirer saisir un
objet et m'en éloigner ? Il ne me semble pas possible de désirer
avaler le contenu d'un liquide tout en le recrachant en même temps
! (Sur cette question, il serait sans doute intéressant d'interroger
les neurosciences). Cela ne peut être que deux désirs distincts
et contradictoires l'un par rapport à l'autre, impossibles à
"vivre" dans le même instant. Lorsque Freud parle d'ambivalence, ou
de contradiction interne propre au désir, je crois qu'il ne
peut donc s'agir que de plusieurs désirs contradictoires (mais non
"auto-contradictoires" en eux-mêmes pris séparemment) qui se
succèdent les uns par rapport aux autres dans le temps lors de leur
apparition, et qui entretiennent entre eux certaines relations logiques, mais,
je le concède qui peuvent, par la suite, exister en même temps
; ne disons-nous jamais : "entre les deux mon coeur balance ?". La notion
de temps me paraît ici essentielle pour comprendre l'ambivalence freudienne
(?) sans doute en relation avec la notion de "train de pensée" et
"energie psychique" dont Freud parle à certains moments.
En conséquence, je ne pense pas qu'il soit possible d'utiliser le concept
de désirs ambivalents autrement que comme l'argument d'une succession
de désirs ambivalents et contradictoires dans le but de pouvoir répondre
à toutes les objections sur la théorie du refoulement inconscient
et de pouvoir toujours interpréter les phénomènes les
plus contradictoires chez une personne selon les mêmes et uniques causes
qui pourraient être, à l'endroit de la psychanalyse, des causes
psycho-sexuelles. Je persiste donc à croire que la théorie
des désirs ambivalents n'est pas à comprendre comme un concept
mais comme un argument, puisqu'il ne peut exister un désir qui soit
à la fois l'expression d'un fait ou d'une action et la négation
de ce même fait ou de cette action !
En bref, la locution : "contradiction
interne propre au désir", ou, ce qui revient au même, "concept
de désirs ambivalents" ne me semble pas correcte : on ne peut parler
de concept qu'au singulier, pour renvoyer, par exemple aux propriétés
logique d'un concept ou d'un terme universel. Il faut donc, selon moi,
parler de : "concept de désir ambivalent", mais là, on se
rend compte qu'il ne peut exister de concept de cette nature sinon les
termes universels seraient aussi tous auto-contradictoires.
Il ne peut donc y avoir, chez Freud,
de "concept de désirs ambivalents", qui soit valide, mais seulement
l'usage de cette locution comme d'un stratagème immunisateur permettant
d'argumenter en faveur de la vérifiabilité de la théorie
du refoulement inconscient et de l'inconscient : si l'interprétation
d'un phénomène décrit par Freud semble réfutée
par certains faits, avec la théorie de l'ambivalence telle que Freud
l'utilise, il est toujours possible de modifier l'interprétation
tout en sauvegardant les théories qui la soutiennent.
Conclusion sur ce point :
Il est logiquement impossible (et
sans doute empiriquement) qu'il y ai des désirs auto-contradictoires
ou une contradiction interne propre à chaque désir : un désir
qui serait en même temps sa propre négation n'est rien du
tout et ne peux exister dans le réel il ne peut rien refléter
d'empirique. Selon moi la struture logique d'un désir qui serait
auto-contradictoire, est identique à celle de la proposition suivante
: "un cygne est, en même temps, ou bien blanc ou bien non-blanc !",
c'est-à-dire absurde.
Vous écrivez ensuite que :
"Je vous signale d'autre part que
la logique de la déduction exploitée par Popper est formellement
très réduite, et délibérément simpliste.
On peut parfaitement utiliser des systèmes déductifs non-standards
(avec des sémantiques associées à base de mondes possibles)
pour réduire certaines aberrations apparentes. Par non-standard,
j'entends des systèmes déductifs où on supprime l'axiome
(si j'ose dire) "ex falso sequitur quodlibet", ce qui permet de formaliser
le traitement des énoncés contre-factuels.
Si Verdi et Bizet avaient été
compatriotes (F), alors (implication standard)... les poules auraient
des dents (F), 2+2= 4, (V) etc.
Mais dans les logiques de la fiction,
par exemple, on peut avoir:
Si Verdi et Bizet avaient été
compatriotes (F), alors (implication non-standard)... ils auraient été
tous les deux français, ou (disjonction stricte) ils auraient été
tous les deux italiens.
Tout le problème est de savoir
comment déterminer le caractère de vérité du
conséquent (car il est assez intuitif de dire que ces conséquents
ont "plus de vérité" que des énoncés entièrement
éloignés). En général, on explique que dans
l'implication non-standard des logiques de la fiction, les mondes possibles
ne sont pas tous indifféremment accessibles à partir de la
prémisse fausse."
1°) Si je vous ai bien compris,
lorsque vous parlez de "la logique de la déduction exploitée
par Popper(...)", vous vous réferrez, par rapport à mon
argumentation sur la falsifiabilité, au fait que pour pouvoir évaluer
ou tester le contenu de vérité d'une théorie, il faut
pouvoir déduire un énoncé contradictoire appelé
"falsificateur virtuel", lequel si il est confirmé par le biais d'une
hypothèse falsifiante, réfuterait la théorie initialement
testée ? Mais, alors, dans votre premier exemple d'implication standard,
la proposition "les poules auraient des dents" ne fait absolument pas partie
des falsificateurs potentiels de l'hypothèse sur la nationalité
commune ou non de Verdi et Bizet, de plus, et pour répondre à
votre argument sur le caractère prétendument simpliste de
la logique de déduction de Popper des énoncés de base,
je vous prie de prendre en compte que selon Popper, il ne suffit pas que
les scientifiques aient réussi à déduire un énoncé
de base d'une théorie à tester, il faut encore que cet énoncé
soit reconnu comme falsificateur potentiel et fasse partie de ce que Popper
nomme les "énoncés de base acceptés". (Je vous renvoie
à "La logique de la découverte scientifique" de Popper). Par
conséquent je ne pense pas que la première partie de votre
exemple implique logiquement la deuxième, à savoir que "les
poules auraient des dents"....??? Mais j'avoue avoir encore des doutes sur
la compréhension de ce que vous voulez dire.
2°) Vous écrivez que :
"Les mondes possibles ne sont pas tous indifféremment possibles à
partir de la prémisse fausse." Voulez-vous dire que ce n'est pas
par la confirmation expérimentale d'un énoncé contradictoire
ou "contre-factuel" (?) que l'on peut, à tout coup, évaluer
le contenu de vérité d'un énoncé général
? Là, je ne suis pas d'accord. Dans votre deuxième exemple
sur la nationalité de Verdi et de Bizet, comment progresserait notre
savoir si nous ne pouvons que conclure que Bizet et Verdi auraient été
compatriotes, donc, ou bien italien, ou bien français, ou bien japonnais,
ou bien allemands, ou bien la nationalité X ? Comme on s'en aperçoit,
la seule méthode pour tester l'hypothèse historique sur la
nationalité de Verdi et Bizet serait peut-être de commencer
par corroborer l'hypothèse falsifiante que Verdi ET Bizet n'étaient
pas italiens mais français en trouvant des preuves empiriques à
base, par exemple, de documents administratifs de leur époque. A
la suite de ce test on apprendrait peut-être que Verdi et Bizet
n'étaient pas français et ainsi de suite jusqu'à trouver
la vraie nationalité ! Mais bon, j'ai la curieuse sensation que je
n'ai rien compris à tout ce que vous avez dit. Aussi, et s'il vous
lasse de me l'expliquer je ne vous en voudrais pas, je manque sans aucun
doute de connaissances en philosophie des sciences, sur lesquelles, outre
Popper et Lakatos que j'ai lus, je serais ignorant. A moi, donc, de me cultiver
!
Cordialement.
Patrice Van Den Reysen.
Réponse de Pierre-Henri CASTEL, le 30/01/2005 à 19 h 42 :
Comme je le craignais et l'espérais
en même temps (on ne se refait pas!) votre réponse rend le
problème encore plus difficile. Cursivement, je vois des choses à
clarifier, d'autres avec lesquelles je ne suis pas d'accord, mais aussi
des objections auxquelles je n'ai pas de réponse disponible. Je n'avais
simplement pas vu les choses comme vous les voyez.
Il me faut donc du temps pour digérer
tout cela.
Je tâcherai de vous répondre
dans des délais acceptables.
Cordialement,
Ce que vous dites est tout à
fait problématique et intéressant.
C'est assurément une très
grave difficulté que la question de savoir si un désir peut
comporter un contradiction "interne", en un sens intelligible. Je comparerai
la dispute à celle qui porte, e philosophie de l'esprit (dont je
m'inspire dans mes écrits) à d'autres formes d'irrationalité
et des ennuis qu'on rencontre, quand on veut faire une description rationnelle
de l'irrationnel. Ainsi, la question de la mauvaise foi (ou de la self-deception,
comme on dit dans la littérature anglophone): est-ce que je peux
réellement croire quelque chose que je ne crois pas vraiment? SI
on cherche à répondre à ce genre de problème,
ou à celui de l'akrasia, ou du wishful thinking, qui lui sont liés,
Davidson a bien montré qu'on se retrouve obligé de postuler
des "divisions" de l'esprit, qu'il a d'ailleurs comparé conceptuellement
avec celles de Freud. Mais l'argument contre Davidson (et déjà
contre Sartre), c'est qu'il n'existe pas vraiment d'états comme la
mauvaise foi, ou l'akrasia. Il y a juste du mensonge, ou de la lâcheté.
Ce que vous dites, c'est donc, d'abord,
que l'intuition à mes yeux fondamentale (que je cherche à
conceptualiser sous la forme du désir avec une contradiction interne
essentielle) n'existe pas. On peut avoir deux désirs, chacun univoques,
et une contradiction entre ces désirs, c'est tout.
Mais je suis frappé que l'illustration
que vous choisissez évoque précisément un symptôme
psychopathologique connu: le mérycisme, qui consiste à rester
entre la déglutition et l'expulsion du bol alimentaire, et qui
est constamment corrélé à un trouble relationnel
profond, chez le petit enfant, avec la personne nourricière. Alors,
bien sûr, physiquement, on a une "oscillation" entre deux processus
qui dans la nature sont opposés. Mais psychologiquement (et c'est
peut-être une propriété intrinsèque du concept
psychologique de désir), on peut décrire la situation comme
un conflit où la volonté d'avaler est contrebattue par un
désir de recracher-remâcher qui lui est si étroitement
articulé, qu'il ne s'agit que d'un seul et même problème
psychique. Je ne me cache pas la difficulté; mais il me semble que
la solidarité proprement mentale des deux phases de l'oscillation
(qui constitue, intuitivement, un seul symptôme, pas la complication
d'un symptôme d'avalement par un symptôme de recrachage, si j'ose
dire), cette solidarité suppose quelque chose comme une contradiction
interne du désir.
Je pense que la conflictualité
dans la sphère morale peut servir de réserves d'intuitions
pour comprendre de quoi il s'agit dans les symptômes de ce genre (par
exemple, ceux de la névrose obsessionnelle).
Je pense aussi que les exemples traditionnels
de symptômes musculaires hystériques sont assez parlants à
cet égard (quand on les a distingué des lésions neurologiques
où, par exemple, la paralysie résulte de la contraction simultanée
des muscles agonistes).
C'est un autre problème, de
fait, de savoir si "vouloir l'impossible" s'exprime sous la forme logique
d'une contradiction in adjecto. C'est aussi un vieux problème (déjà
Kant, dans l'essai sur les grandeurs négatives). Mon exemple de
la crémière ne vaut, bien sûr, que s'il est compris
qu'on a ou l'argent ou le beurre, pas les deux, au sens d'une disjonction
classique. Il est alors trivial de reformuler la disjonction sous la forme
d'une négation sur une conjonction, etc.
Mais vous paraissez dire autre chose,
qui est moins formel ou verbal (c'est le deuxième point de vos observations):
"qu'il ne peut exister un désir qui soit à la fois l'expression
d'un fait ou d'une action et la négation de ce même fait
ou de cette action". Et si Freud y a recours, c'est encore sous la forme
d'un argument fallacieux, qui permet de recourir à cette ambivalence
structurale (conceptuelle) d'un désir pour exciper à chaque
de deux interprétations logiquement incompatibles, par lesquelles
il échappe au réquisit de falsifiabilité poppérienne.
Je pense vous avoir dit pourquoi
je ne suis pas sûr du tout que l'existence psychique du phénomène
soit une chimère. Au contraire! Mais bien plus, je soutiens qu'une
logique qui ne serait pas capable d'en rendre compte ne serait pas une
norme de disqualification de ce genre de faits, mais plutôt une démonstration
de son propre incapacité théorique. Car nous choisissons
et révisons les axiomes de notre rationalité en fonction de
leur adéquation à des données informelles préalables.
C'était le sens de mon observation sur la logique non-standard
de la fiction: si vous niez l'intuition selon laquelle "Si Bizet et Verdi
étaient compatriotes, ils seraient tous les deux Italiens (ou Français)"
est plus acceptable que ""Si Bizet et Verdi étaient compatriotes,
ils seraient tous les deux Hongrois", alors évidemment, l'affaire est
pliée. Je préfère ce recours à la Hongrie, puisque
celui aux poules avec des dents vous semble extravagants. Et en plus, cela
ressemble un peu davantage à un falsificateur potentiel, bien que
la question soit ici totalement hors-sujet. Je ne veux me concentrer que
sur la partie "logique" de l'intuition en débat.
Ici, il ne s'agit donc plus, pour
faire la différence, de l'acceptabilité empirique, mais de
l'acceptabilité formelle, ou mieux, de la validité sémantique
intrinsèque d'expressions que j'appelle "désir à contradictions
internes".
Je passe sur le fait que ce à
quoi vous comparer ma formule (les cygnes blancs et non-blancs) et précisément
ce que j'exclus: il ne s'agit justement pas d'énoncés constatifs,
mais d'énoncés optatifs. Il ne s'agit pas non plus de savoir
si on peut désirer que le même objet soit à la fois
bon et mauvais, mais de savoir si on peut à la fois à la fois
désirer et détester le même objet. Il est exact que
ces deux manières de dire sont souvent convertibles ("C'est une traînée,
mais j'en suis fou!"). Mais je crois que personne ne s'aventurerait à
imputer à une propriété contradictoire constatée
de l'objet, les remous contrariants de son propre désir, sauf de
manière rhétorique, et comme une expression de la passion
(pas comme une description de la passion). Le désir produit à
foison des oxymores: "C'est une folle merveilleuse", "un démon séducteur",
etc. Est-ce que cela n'est pas acceptable au titre de l'ambivalence structurelle
du désir (j'en veux et je n'en veux pas, je n'en veux pas et je le
désire malgré moi)? Je trouve que si. Mais à la condition
impérative de respecter ces nuances de grammaire logique.
D'autre part, le fait "qu'il ne peut
exister un désir qui soit à la fois l'expression d'un fait
ou d'une action et la négation de ce même fait ou de cette
action", selon vos mots, devrait, à mon opinion, se dire, "qu'il
ne peut exister rationnellement un désir qui soit à la fois
l'expression d'un fait ou d'une action et la négation de ce même
fait ou de cette action". Par exemple, si on devait quantifier sur des
désirs dans un calcul bayésien, on parlerait de "préférences",
testées empiriquement par des conduites (en général
d'achat, comme chez Tversky et Kahnemann, après Hayek). Les préférences
sont réduites par des conduites positives univoques. Mais si justement,
il s'agit de décrire l'irrationalité de la conduite (et
n'est-ce pas une dimension du désir qu'il faut sauver?), alors
je crois qu'on peut avoir recours, qu'on ne peut même qu'avoir recours
à cette contradiction.
Considérons ensuite ce que
Freud fait de l'ambivalence (un mot équivoque, parce que je ne veux
pas dire qu'il s'agit de la double valence logique VF). Quand il y a recours,
est-ce qu'il est toujours possible de modifier certains faits ad hoc pour
sauver n'importe quelle interprétation? Je ne connais pas d'exemple
de cette manoeuvre dans Freud. Dans le cas spécial du rêve
étudié par Grünbaum, si on le lit en entier, on voit clairement
que Freud a au contraire voulu mettre en valeur un montage psychologique
que je trouve plausible (vous l'admettriez au théâtre, dans
Marivaux, par exemple) où la patiente a) ne veut pas reconnaître
qu'elle éprouve un certain désir, b) "mais" ne veut pas reconnaître
que le chemin pour reconnaître que ce désir existe passe par
la reconnaissance qu'elle ne veut surtout pas de ce désir, lequel
néanmoins insiste et la coince dans ses contradictions, c) ne veut
pas "donc" reconnaître à Freud l'autorité intellectuelle
requise pour lui démontrer que ce mécanisme même, qui
est le fond de sa théorie du rêve, s'applique justement à
elle. Il me semble que l'enchaînement motivationnel abc est peut-être
une explication intentionnelle fragile, ce n'est qu'un ensemble coordonnée
de raisons révisables, mais que ce n'est pas un enchaînement
irrationnel, d'une part, et d'autre part, que l'ambivalence du concept de
désir est cantonnée au concept de désir, et qu'elle
ne déborde pas sur la mise en fonction logique de ce concept au sein
de l'argument. C'est pourquoi, par exemple, je pense qu'on peut conserver
le concept de désir ambivalent en ce sens, et produire une autre explication
motivationnelle de l'articulation abc. Le critère pour décider
si cette autre explication non-freudienne est meilleure (par exemple par
un biais attributif) reposera en dernière analyse sur la plausibilité
des meilleures raisons intégratives des facteurs pertinents.
Je trouve que cet échange
(que je vais devoir interrompre, pardonnez-moi) révèle très
bien la grande difficulté des explications sur la théorie
de Freud: pour une part, ce sont les intuitions de base, sur ce qui se passe
dans la vie psychique, qui ne sont pas congruentes (vous ne trouvez pas
de sens réel à l'ambivalence); pour une autre part, et c'est
la raison pour laquelle je ne sépare pas l'épistémologie
de la médecine mentale et son histoire, il faut avoir à
l'idée les questions précises, de neurologie, de psychiatrie
non-freudienne (pré-freudienne), et toutes les explications alternatives
(par l'hypnose, la suggestion, les anomalies cérébrales,
etc.) des mêmes "phénomènes" bizarres décrits
indépendamment de la psychanalyse, qui sont sa toile de fond. une
théorie "abstraite" de l'ambivalence sans concurrence de paradigmes
pour décrire, déjà, puis expliquer, ensuite, tel
rituel obsessionnel ou tel vécu d'acte manqué, cela ne vaut
pas grand-chose.
Mais c'est tout à fait ce
qui fait la différence entre la contribution freudienne à
la clinique mentale et la généralisation d'un paradigme interprétatif
freudien à toutes les productions de l'esprit en général.
Vous savez où je plante ma tente.
Cordialement,
Pierre-Henri Castel
Réponse de Patrice Van Den
Reysen du 01/02/2005 à 21 H 17 :
Monsieur,
Je vous remercie pour cet échange, qui fut sans langue de bois et fructueux, en tout cas pour moi.
Cordialement.
Patrice Van Den Reysen.
http://vdrp.chez.tiscali.fr/