La méthode fragmentaire et le projet pédagogique d'E.P.S. :
Si la méthode "par projet" de poursuite des objectifs de l'E.P.S. semble considérée comme une méthode optimale d'atteinte de ses objectifs (8) (puisqu'elle est rendue obligatoire par l'institution), elle ne peut, selon nous, être efficace qu'à la condition d'être menée de manière fragmentaire (9), et d'avoir prévu des mesures de contrôle systématiques dans le cours des modifications effectuées. Ces mesures de contrôle devraient toujours être explicites puisqu'elles seules garantissent la possibilité objective (discutée et critiquée par les autres partenaires de l'action éducative) de faire les relations entre les effets attendus et les effets obtenus, et de donner de précieux renseignements sur l'efficacité réelle des intentions éducatives de départ (10).
La méthode fragmentaire suppose que le projet soit considéré comme un outil évolutif dont l'utilisation par les enseignants se concrétiserait en cas de besoin par des stratégies didactiques ou pédagogiques ponctuelles ou au "coup par coup". Les arguments que nous allons présenter par la suite, auront pour but de démontrer que la méthode fragmentaire est la seule qui soit réaliste (nous sommes convaincus que dans l'immense majorité des cas que l'on pourrait analyser jusqu'à maintenant, c'est l'action didactique et pédagogique fragmentaire qui est le pain quotidien des équipes d'enseignants en E.P.S....malgré toutes les incantations faites à la méthodologie du projet qui n'est peut être qu'un rebut de l'idéologie planiste) et adéquate pour l'action pédagogique qui veut atteindre au mieux les buts qu'elle se fixe, ou alors que le projet est contraint de réduire le contenu et le niveau de précision de ses objectifs de manière proportionnelle à l'accroissement de l'écart entre le début de l'action pédagogique guidée par les objectifs en question, et la fin de cette action pédagogique, correspondant à l'évaluation des objectifs. Ceci s'explique notamment par le fait que plus le contenu empirique (11) d'une prédiction (ou d'un projet) est grand, plus grande est son improbabilité logique. C'est-à-dire qu'une prédiction qui nous dit beaucoup sur ce qui doit advenir prend plus de risques qu'une autre prédiction (ou projet) qui nous en dit moins, et dont le contenu empirique est moins élevé.
En E.P.S., les exemples pourraient être les suivants :
La prédiction : "cet élève va maintenant faire un bond d'au moins 2 mètres" est moins riche en contenu et plus probable que la prédiction : "tous les élèves de cette classe devront d'ici deux jours faire des bonds d'au moins 2 mètres et lancer le poids de 3 kg à au moins 4 mètres", laquelle est moins riche en contenu empirique et plus probable que la prédiction (ou le projet) : "la majorité des élèves de ce Collège devra d'ici 3 ans faire des bonds d'au moins 2,75 mètres, lancer le poids de 3 kg à au moins 4,15 mètres et courir les 60 mètres en moins de 8 secondes".
On objectera que les enseignants d'E.P.S. ne fixent jamais, dans leurs projets pédagogiques, des énoncés d'objectifs aussi précis (donc que nos exemples sont faux puisqu'ils ne reflètent pas la réalité), et qu'il est largement reconnu que de tels objectifs ne peuvent jamais être atteints, pour l'ensemble d'une population d'élèves, avec toute la précision calculée ou estimée à l'avance. Cependant, les exemples d'énoncés que nous donnons, illustrent parfaitement ce que l'on peut comprendre par "contenu empirique" d'un objectif, et "improbabilité logique". Et il nous semble absurde de penser que des énoncés du genre: "sauter plus haut", ou "améliorer l'amplitude", sans plus d'information (donc de contenu) puissent suffire, entièrement , à orienter une action pédagogique, pour une année, voire un cycle. Car lorsque le problème de l'évaluation se pose, la nécessité d'une précision donc d'un niveau de contenu supérieur fait alors son entrée en scène, contredisant la volonté initiale de s'en tenir à de vagues prédictions. Les enseignants ne peuvent donc jamais faire totalement l'économie d'un certain niveau de précision (donc de contenu empirique) dans la formulation de leurs énoncés d'objectifs. De simples "mises en perspectives" nécessaires pour orienter une action pédagogique, ne sont donc jamais évaluées, directement, en tant que telles, mais toujours par l'intermédiaire d'énoncés plus précis qui sont déduits des ces énoncés plus généraux que sont les "mises en perspectives".
Par ailleurs, le contenu empirique d'une prédiction s'accroît avec son contenu logique, composé des différentes conséquences que l'on peut logiquement en déduire (et qui prennent éventuellement la forme d'énoncés d'objectifs ou de critères). Ces conséquences logiques peuvent être subdivisées comme suit :
a) la classe de toutes les conséquences fausses de la prédiction (celles qui peuvent la réfuter : montrer qu'elle est fausse) composée des deux sous-classes suivantes :
- la sous-classe des conséquences fausses que l'on pouvait prévoir et qui ont peut être fait l'objet d'une modification dans la formulation de la prédiction (de l'objectif, du critère, etc.).
- la sous-classe des conséquences fausses que l'on ne pouvait pas prévoir (et que l'on aura par exemple volontairement ignorées parce qu'elles remettaient en question tout ou une partie du projet (ou certains énoncés prédictifs : les objectifs, les critères, etc.).
b) la classe de toutes les conséquences vraies de la prédiction (celles qui confirment ou corroborent les prédictions) avec :
- la sous-classe des conséquences vraies que l'on avait prévues (elles se réalisent exactement dans leurs dimensions respectives, ou selon une probabilité estimée à l'avance). Ces conséquences reflètent la valeur des prédictions et peut-être la double compétence des enseignants à les formuler et à les mettre en œuvre. Sachant que les prédictions qui n'ont qu'un faible contenu empirique sont d'un moindre intérêt puisqu'elles ne peuvent viser qu'une faible modification des comportements des élèves, le succès pour une équipe d'enseignants devrait consister à réaliser des objectifs toujours plus ambitieux, s'il on considère évidemment que les individus doivent progresser dans le sens où le résultat (et non le processus) de leurs apprentissages est une accumulation toujours plus grande de connaissances. En effet, pourquoi devrions nous avoir comme objectif qu'au fil des années les connaissances et les capacités des individus diminuent graduellement au nom de justifications prétendument pédagogiques ? Le but d'une démocratie n'est pas de conserver une institution éducative dont les objectifs ne seraient pas par exemple, pour les années à venir ou au fil des générations, une plus grande accumulation de connaissances, une plus grande capacité à réfléchir et à critiquer ces connaissances, une plus grande capacité à savoir les utiliser. Ceci suppose, en conséquence, que le but à rechercher n'est pas nécessairement d'élaguer, de réduire les niveaux d'exigence, les niveaux de difficulté demandés aux individus en formation. "En fait nous pensons (en ayant bien conscience du caractère provocateur de cette formule), qu'il faut viser la réussite, dans des situations difficiles"(12). Enfin, puisque la société n'a pas évolué jusqu'à nos jours vers un ralentissement du progrès technologique et de l'accroissement démographique (13), il est trivial et incontestable d'affirmer qu'il faut plus de connaissances pratiques et théoriques à l'homme d'aujourd'hui pour vivre en société (14), qu'il ne le fallait à l'homme de Neanderthal, ou même plus récemment, à l'homme du XIXe siècle. Certes, certaines connaissances ne sont plus jugées vitales pour nous ou ont été abandonnées pour de mauvaises raisons, mais il est totalement faux de prétendre que la vie d'un homme de Neanderthal (ou du XIXe siècle) était plus riche ou plus compliquée que maintenant du fait des activités quotidiennes qui étaient les siennes, comme la chasse, la recherche et la fabrication d'un abri.
- la sous-classe des conséquences vraies que l'on n'avait pas prévues (elles ne font que confirmer la prédiction si la situation dans laquelle la prédiction a été confirmée ne constitue pas un test plus sévère que celui qui pouvait être imaginé, et elles corroborent (15) la prédiction si la situation dans laquelle la prédiction a été corroborée constitue aux yeux de l'équipe pédagogique un test plus sévère que celui qui pouvait être imaginé). Mais on peut considérer au contraire, que les conséquences qui appartiennent à cette sous-classe, bien qu'elles enrichissent après-coup les énoncés ou la formulation du projet de base, n'en constituent pas moins des réfutations (16) de la formulation initiale du projet, puisque le projet était incapable, dans sa formulation initiale, de les prévoir. Enfin, plus la richesse de contenu d'une prédiction s'accroît, plus le risque d'accroissement des sous-classes d'événements imprévisibles augmente.