Mensonges freudiens : Histoire d'une désinformation séculaire.

Jacques Bénesteau

Belgique, Mardaga, diffusé en France par SOFEDIS, 2002, 400 p.
 




            Jusqu'en 1970, les principales sources pour l'histoire de la psychanalyse étaient les écrits de Freud et sa biographie rédigée par son fidèle disciple Ernest Jones, sous le contrôle d'Anna Freud. En 1970, la présentation de l'histoire de la psychanalyse a connu un premier bouleversement : Ellenberger, dans sa monumentale histoire de la psychiatrie « dynamique » (Histoire de la découverte de l'inconscient, trad. rééditée chez Fayard en 1994), fournissait d'amples informations remettant en question deux légendes, à savoir que les principales thèses de Freud seraient toutes de son invention et que le médecin viennois aurait été longtemps seul contre tous, puis aurait été violemment attaqué pour ses idées révolutionnaires. Un des principaux mérites d'Ellenberger a été la publication de documents qu'il a découverts à la Clinique psychiatrique de Kreuzlingen, où la célèbre Anna O. avait abouti à la fin d'une thérapie qui l'avait officiellement guérie de tous ses symptômes, mais qui, en réalité, l'avait profondément perturbée et rendue morphinomane. La cas princeps de la psychanalyse avait été un lamentable échec, maquillé en extraordinaire succès. Dans les années 1970, Roazen et Sulloway ont rassemblé des archives et des témoignages renforçant la relativisation des mérites du « héros solitaire ». Les historiens qui ont alors voulu en savoir davantage sur l'aventure psychanalytique se sont tous heurtés à l'interdiction de consulter de nombreux documents, en particulier une grande partie de la correspondance de Freud et des Minutes de la Société viennoise de psychanalyse. Certains de ces documents — en particulier des lettres de Freud à Joseph Breuer — sont interdits d'accès jusqu'en 2113, un fait unique au monde. Aucun secret militaire n'est gardé à une telle échéance.

            L'embargo sur les archives a évidemment stimulé la curiosité de chercheurs. Manifestement Freud et les siens avaient bien des choses à cacher. Des morceaux de correspondances ont été, peu à peu, publiés. Un des documents les plus importants a été, en 1985, la publication intégrale (en anglais) de la correspondance de Freud avec Fliess, par Jeffrey Masson, alors directeur des Archives Freud. Ce texte a montré l'ampleur des coupures et déformations opérées dans la première édition (le lecteur français ne dispose, à ce jour, que de cette version de 1950, ad usum delphini). La vision de la psychanalyse et de son fondateur s'en trouve radicalement changée.

            Depuis quelques années, dans les pays anglo-saxons (comprenant notamment le Canada, l'Australie, la Suède, les Pays-Bas), de nombreuses publications ont vu le jour sur les comportements de Freud et sur son matériel clinique. En définitive, le père de la psychanalyse n'apparaît plus comme un savant intègre, un courageux chercheur de la vérité. Il était un homme très ambitieux, peu scrupuleux, avide de gagner de l'argent, autoritaire, rancunier, superstitieux, paranoïde. Il a fondé un groupe de disciples cultivant la psychologie du juste persécuté. Le plus grave, pour nous, ne sont pas ces comportements (peu importe l'homme, du moment que ses idées sont fondées), mais les mensonges concernant le matériel clinique. Freud a menti quant à ses succès thérapeutiques, il a inventé des patients, il a développé un art de spéculer sans faits réellement observés. Sa doctrine est fondée sur un mélange inextricable de faits, d'interprétations et de falsifications. Les travestissements de la réalité sont hélas devenus coutumiers dans le mouvement psychanalytique. Parmi les faussaires les plus adulés par le grand public, Bettelheim occupe une place de choix. Mensonges freudiens consacre dix pages à ce célèbre imposteur.

            Bénesteau a la mérite d'avoir produit le premier ouvrage en langue française, qui présente une somme de ce que les spécialistes de l'histoire du freudisme savent depuis une vingtaine d'années (Borch-Jacobsen avait donné un avant-goût de ces affaires). Son livre, qui s'ouvre sur une belle préface de Jacques Corraze, surpasse la plupart des publications anglo-saxonnes par la quantité de matériel, mais également par une superbe écriture, parfaitement lisible, souvent drôle, toujours captivante. Aucun lecteur ne pourra reprocher à l'auteur de manquer de préciser ses sources (plus de 700 entrées bibliographiques et un grand nombre de notes). Certains lui reprocheront une ironie parfois mordante, qui s'explique sans doute par l'exaspération d'un psychologue clinicien (il travaille à l'université de Toulouse-Rangueil), confronté quotidiennement à l'arrogance des freudiens de son pays. Bénesteau souligne que la France détient le record mondial du nombre d'analystes par habitants. Manifestement cette particularité le désole profondément. Avec ce livre, il est aujourd'hui un des auteurs les plus importants dans la cour des Sherlock Holmes du freudisme. Mensonges freudiens sera sans doute passé sous silence dans la grande presse francophone, largement infiltrée par les freudiens. Beaucoup de libraires « négligeront » de le commander (business is business). Les psys d'orientation scientifique, qui ont à souffrir de l'impérialisme du freudisme, feront bien de se passer l'information de bouche à oreille ou de courriel à courriel. 

Jacques VAN RILLAER


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