Des mesures, des mots, des morts ou l'art tragique d'avoir toujours raison
Une réponse à Elisabeth Roudinesco sur le désaveu ministériel du rapport d'expertise de l'INSERM
http://vdrp.chez.tiscali.fr/Talmon.htm
Quand l'opinion de quelques-uns est devenue celle de tout le monde, doit-on penser qu'ils avaient vu juste avant les autres, ou qu'ils ont réussi à propager l'erreur ?
Jean Rostand1
Après la mise en ligne de mon article2, j'éprouvai quelques remords : n'y avais-je pas été un peu fort ? Bien qu'ayant pris soin de ne jamais attaquer personnellement Elisabeth Roudinesco au profit d'une critique systématique de ses arguments, mon ironie cinglante ne pouvait-elle pas être perçue comme un règlement de compte ? Le temps dissipa mes doutes et renforça ma conviction : il était nécessaire de neutraliser la propagande tapageuse des fantômes psychanalytiques qui hantaient les médias français. En effet, il y a peu, Madame Roudinesco rendait un vibrant hommage à notre cher Ministre de la Santé, Monsieur Philippe Douste-Blazy, pour avoir signé publiquement « la fin d'une évaluation », celle du rapport d'expertise de l'INSERM portant sur l'efficacité des psychothérapies3. Et que trouve-t-on dans cet hommage ? Les mêmes ingrédients qu'à l'accoutumée, qui donnent au final un plat qui se mange froid et sent bon la vengeance différée. Madame Roudinesco nous ressort en premier lieu l'argument carbonisé de l'antisémitisme : les nazis haïssaient la psychanalyse, ont brûlé les livres de Freud et massacré des membres de sa famille. Il n'est bien entendu pas question de remettre en cause ces faits historiques ; seulement de rejeter le syllogisme de Madame Roudinesco qu'on pourrait résumer comme suit : 1) Les nazis tenaient la psychanalyse pour une « science juive » et à ce titre voulaient l'éradiquer 2) Or les nazis ont commis des crimes contre l'Humanité 3) Donc la psychanalyse est vraie. Présenté ainsi, on voit très vite que le raisonnement ne tient pas parce qu'il n'y a pas de lien logique entre l'attitude des nazis envers la psychanalyse et la validité de cette dernière. Nous ne reviendrons pas ici sur le sous-entendu infamant d'un tel sophisme : puisque les nazis étaient contre la psychanalyse, tout individu osant s'en prendre à la « discipline reine » est un nazi qui s'ignore. Démonstration simple, rapide, efficace et qui évite d'avoir à répondre sur le fond. Deuxième procédé : la désinformation. Madame Roudinesco dépeint les thérapies comportementales d'une manière aussi inexacte que grossière : il s'agirait, à l'en croire, de débarrasser « en trois semaines » un patient d'une phobie des araignées « en l'obligeant » à plonger sa main dans un bocal rempli de mygales. En réalité, une thérapie comportementale s'étend généralement sur une dizaine de mois, précisément parce qu'il est hors de question de forcer le patient à faire quoi que ce soit. Au contraire, le principe d'habituation auquel se réfère Madame Roudinesco - et qui, au passage, est loin de résumer l'ensemble des techniques comportementales - requiert une exposition très progressive à l'objet redouté et un contexte décidé à l'avance par le patient, le tout se déroulant avec le soutien et la coopération du thérapeute4. Dernier volet de la rhétorique élisabéthaine : la politisation du débat. Madame Roudinesco rappelle que l'amendement Accoyer a été voté par la droite et contesté par la gauche. La sentence tombe : choisis ton camp, camarade ; non, pas celui de droite ! Dès lors, le décor est planté : l'amendement Accoyer provient d'une politique réactionnaire et le rapport de l'INSERM d'un groupe néo-nazi. Le verdict est sans appel : jetons tout cela aux lions et sacrifions des moutons sur l'autel de la psychanalyse. Et devinez quoi ? Les moutons en question, ce sont les patients, complètement occultés du débat et qui plaident le plus souvent, lorsqu'on leur en donne l'occasion, pour une évaluation des psychothérapies, histoire de ne pas tomber sur un charlatan et de choisir le traitement le plus adapté à leurs troubles5. On termine l'article avec un soupir de soulagement, car les choses sont simples, en définitive : il y a d'un côté les psychanalystes, ardents défenseurs de la veuve et de l'orphelin et soutenus par le nouveau héros politique de la résistance analytique, Philippe Douste-Blazy. Et de l'autre côté, tapis dans les ténèbres extérieures, d'insupportables scientistes décadents rêvent d'édifier un meilleur des mondes pour demain à coup de conditionnements et de pilules du bonheur. Le rôle des instances politiques va désormais de soi, pour Madame Roudinesco : il va s'agir d'instaurer le Bien, de gré ou de force. A quand le passage obligé sur le divan avant de pouvoir voter ? Evidemment, avec tout ça, Dame Elisabeth ne se pose pas la question de savoir pourquoi, dans un des rares pays au monde à compter autant de psychanalystes au kilomètre carré, la consommation de psychotropes atteint des sommets. Ne serait-ce pas que, lassés des boniments psychanalytiques, les individus en souffrance rejettent jusqu'au principe même de la psychothérapie, conçue ad vitam aeternam comme parole déversée à un autre qui n'en a cure et choisissent alors en désespoir de cause de s'envoyer des « paradis plein la tête »6 prescrits sur ordonnance et remboursés par la Sécurité Sociale ? Peut-être en sommes-nous là aujourd'hui. Et en ce cas, dénoncer les manigances d'une fausse prophétesse constitue une action d'utilité publique.
NOTES
1. Rostand, Jean. Inquiétudes d'un biologiste. Paris. Stock. 1967. p. 129.
2. Talmon, Loïc. Les patients, Roudinesco et l'étau (psychanalytique). [en ligne]. Août 2004. Disponible sur : <http://vdrp.chez.tiscali.fr/Ar_Roudinesco.htm>.
3. Roudinesco, Elisabeth. « La fin d'une évaluation ». In Le Monde, 14 février 2005.
4. Voir cet excellent ouvrage : Van Rillaer, Jacques. Les thérapies comportementales. Paris. Bernet-Danilo. 1998.
5. Lire notamment le communiqué de presse de l'association Médiagora Paris daté du 9 février 2005 : <http://mediagora.free.fr/douste_comm_presse.doc>.
6. Zarifian, Edouard.
Des
paradis plein la tête. Odile Jacob. 1994.
Référence de l'article
: Talmon, Loïc. Des mesures, des mots, des morts ou l'art tragique
d'avoir toujours raison. [en ligne]. Février 2005. Disponible
sur : <>.
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