...VOICI, RESTITUEE, LA DISCUSSION AVEC UN PSYCHANALYSTE...
En guise d'introduction:"On sait combien se prend et se fige en nous une croyance; comment elle s'engraisse en interprétant chaque nouveau fait, en l'assimilant, en faisant de lui sa propre substance...Ainsi l'idée fausse et toute faite projette-t-elle sa propre lumière en aveuglant toute autre notion qui pourrait la contredire. Une scolastique est dès lors en marche qui apporte le déroulement confortable de sa logique et l'habitude de son vocabulaire. Rien ne peut l'arrêter, sinon précisemment ce doute exigé sans cesse par le raisonnement expérimental - au sens bernardien - et dont on apprécie, en l'occurence, la nécessité fondamentale."
(in: Pierre DEBRAY-RITZEN: "La psychanalyse, cette imposture." Edition: Albin Michel. 1991. Page: 80).
Petit commentaire critique sur les positions de Debray-Ritzen:
Bien que je ne soit pas d'accord avec la conception de la méthode expérimentale défendue par Pierre DEBRAY-RITZEN, que je croie essentiellement positiviste, donc erronée, (je "croie" seulement, parce qu'à ce sujet, la position de DEBRAY-RITZEN me paraît un peu ambigüe) je suis d'accord avec ses critiques de la psychanalyse et je les trouve même dévastatrices. Voici les éléments qui "troublent" ma "vigilance épistémologique" au sujet des conceptions de l'auteur sur la méthode expérimentale:
- page 25: "la coïncidence est preuve de vérité. Tout cela demande une observation permanente, un classement des faits et des correlations..." Ceci s'apparente, à première vue, à un point de vue positiviste, dans la mesure où il ne semble pas considérer explicitement qu'il ne peut y avoir d'observation pure des faits, et que par conséquent, la véritable méthode expérimentale ne peut se limiter à une simple collecte de faits pour arriver à une théorie générale, par induction. (Voir la critique de Popper à ce sujet, in: "La connaissance objective").
- page 25: "Il y a antinomie radicale entre la pensée magique et la pensée scientifique, expérimentale, dont le rôle permanent est de remettre en doute...et de découvrir." Ceci est une point de vue négativiste (comme Popper qu'il critique pourtant dans son livre).
- page 26: "...l'entrée en scène et le programme illimité de l'expérience découvreuse et vérificatrice - véritable voie du savoir qui devait faire bon marché de tout un apriorisme antérieur hérité des philosophes." Popper a clairement démontré, qu'il est rigoureusement impossible de vérifier une théorie générale, et que ces théories générales ne peuvent être construite par induction. Il a également réfuté l'apriorisme Kantien dans la mesure où, à l'inverse de Kant qui croyait que les théories que l'homme impose à la nature, peuvent être valides à priori (s'inspirant en cela des mathématiques et de la physique newtonienne), ne sont en fait que des essais d'explications, des questions posées à la nature, laquelle, très souvent, répond par la négative...
- page 28: "cette humble observation clinique, cette collecte des faits - source de toute connaissance et de mise en ordre." Ici, le positivisme (point de vue faux sur la méthode expérimentale) est très clair. Debray-Ritzen considère, apparemment, que ce sont les observations qui permettent d'aboutir à des "mises en ordre", c'est-à-dire à des théories générales.
- page 33: "Très vite, contre ce positivisme français, une réaction se fit sentir, essentiellement outre-Rhin." Là je me demande si Debray-Ritzen sait bien ce qu'est le positivisme et...la méthode expérimentale ! Je me demande quelles sont ses connaissances en épistémologie, qui n'occupe qu'une faible partie dans son livre (il y parle un peu de Popper) et qui est citée entre guillemets...
- page 37: "...le clinicien responsable appelle volontiers un réseau simple - classement basé sur l'observation des faits...qui ne mentent pas." Point de vue positiviste.
- page 39: "Il est satisfaisant pour les esprits qui ont souffert et souffrent encore des exégèses à tous crins de pouvoir désormais se référer à une classification rigoureuse; établie dans un a-théorisme descriptif systématique." (!) Popper à démontré de manière indiscutable, qu'il est impossible d'établir une classification sans disposer, à priori, d'une théorie permettant de sélectionner les faits constitutifs de la dite classification. Une classification étant, par nature, normative, elle ne peut être constituée de faits qui échappent à la dite norme, c'est-à-dire qui n'ont pas été observés, relevés, en fonction de cette norme.
- page 46: "...Mais à l'origine, en dehors de données génétiques statistiquement certaines..". Il n'y a aucune connaissance absolument certaine dans le domaine de la science empirique, et encore moins d'un point de vue statistique !!!Conclusion: je pense que Debray-Ritzen est un positiviste, et qu'il se trompe en ce qui concerne la méthode expérimentale. Pourtant, même d'un point de vue positiviste, la psychanalyse n'atteint jamais son but. Elle l'atteint encore moins du point de vue de Popper et moins encore du point de vue de l'adversaire principal de Popper: Lakatos. Les arguments de Debray-Ritzen, je veux dire certains de ses arguments positivistes, risqueraient de le renvoyer dos-à-dos avec la psychanalyse, pourtant il évite cet écueil, précisemment parce qu'il adopte vis-à-vis d'elle le point de vue de Popper (sans s'en rendre compte ?), en apportant des preuves contradictoires, de véritables preuves d'impossibilité et d'absurdité des théories psychanalytiques (lesquelles ne sont pas davantages devenues "réfutables" empiriquement, si on lit bien le livre et si on a un tant soit peu compris les positions de Popper au sujet de la réfutabilité). Le livre de Debray-Ritzen reste donc à mes yeux, une arme majeure contre la psychanalyse, et fait certainement partie des livres "qu'on peut lire" à son sujet.
Voici maintenant quelques questions posées,...et leurs réponses:
QUESTIONS:
(Il s'agit en fait de messages envoyés vers des sites créés par des psychanalystes)
Bonjour,
Je suis enseignant, et par ailleurs je m'intéresse depuis maintenant environ
dix ans à l'oeuvre de Karl Popper (et aussi de son adversaire Imre Lakatos). L'oeuvre
de Popper m'a conduit à m'interroger sur le statut objectif, scientifique de la
psychanalyse contemporaine. Je souhaiterais donc vous poser les questions suivantes:
1°) Existe-t-il à l'heure actuelle, des énoncés de la psychanalyse qui aient été testés
de manière empirique, et extra clinique, et intersubjective, et...qui aient survécu
provisoirement à ces tests, c'est-à-dire qui aient été corroborés (et non pas simplement
confirmés) expérimentalement ?2°) Y a t'il donc des énoncés psychanalytiques testables, corroborés ?
3°) Les psychanalystes d'aujourd'hui considèrent ils encore que leurs énoncés
s'appliquent à une réalité psychique (évidemment empirique) ?4°) S'il considèrent que ces énoncés doivent s'appliquer à une réalité...admettent-ils
alors qu'ils ne peuvent qu'être réfutables...par conséquent retour à la question n°1..5°) ...Les psychanalystes admettent ils un critère de démarcation entre les énoncés
scientifiques et les "autres", ou alors comment font ils pour dire "tiens...ça c'est
scientifique...et ça non."6°) S'ils admettent un critère de démarcation, admettent ils que ce critère soit fondé sur
la logique, comme l'a démontré Popper, ou sur quelque chose d'autre qui rende impossible
le relativisme en matière d'épistémologie, donc sur notre manière de juger objectivement
sur ce qui a une valeur scientifique, ou non.7°) Les psychanalystes admettent ils qu'il est logiquement indiscutable comme l'a
démontré Popper, que lorsqu'une théorie est irréfutable et prétend être vérifiée dans
tous les cas, elle ne peut, de manière logique, s'appliquer à aucune réalité, et démontre
ainsi le vide de son contenu empirique.8°) Existe-t-il de nouveaux objets de recherche pour la psychanalyse contemporaine ? Quelles sont les méthodes employées ?
9°) Comment les psychanalystes d'aujourd'hui considèrent les liens entre: déterminisme mental et libre arbitre ? (je me réfère à la critique de Popper sur le déterminisme)
Voilà, en vous souhaitant bonne réception et en espérant une réponse et un débat avec
vous, veuillez croire à mes sentiments distingués.
RÉPONSES:
Je pense avoir trouvé dans le contenu de votre réponse,Cher Patrice,
Je vous remercie d'avoir prêté attention à mes pages consacrées à l'épineuse relation entre science et psychanalyse, à partir de l'enseignement de Lacan. Mon point de vue est que sans doute la psychanalyse est irréfutable au sens poppérien du terme...mais la physique, la biologie, l'astronomie ne sont pas plus falsifiables ! Toutes ces sciences relèvent d'un certain nombre de postulats, or aucune expérience ne pourrait s'avérer décisive pour réfuter ceux-ci. Je m'excuse du côté abrupt de mon propos, mais je suivrais volontiers le grand physicien et philosophe Jean-Marc Lévy-Leblond lorsqu'il définit la physique comme ce qui ne retient du Réel que ce qui est susceptible d'un calcul ou d'une notation mathématique. Notre vision du Réel relève de discours, et les discours relèvent presque toujours d'un "semblant". Ainsi, l'ordre mathématique sous-tend la majorité des sciences dites dures. On sait pourtant depuis Gödel que l'incomplétude, l'indécicabilité sont au coeur des mathématiques. La démonstration par Wiles du grand théorème de Fermat (je vous conseille la lecture de l'article de JP Delahaye dans le dernier numéro de Pour la Science). Enfin, la majorité des psychanalystes d'aujourd'hui ne considèrent pas leur discipline comme relevant d'une science. Sans doute l'émergence de la science était-elle nécessaire à son apparition (Lacan dit que le sujet de la science, c'est le sujet de l'inconscient), mais la psychanalyse lacanienne considère plutôt qu'un bord est enfin donné à la science: c'est...la psychanalyse. La science ne se constitue que de l'éradication de toute subjectivité, alors même que la psychanalyse s'intéresse au sujet de la science. Voilà. J'espère avoir un peu répondu à vos questions pointues et pertinentes. Je vous adresse mes salutations.
De moi à lui maintenant (attention, étant donné la longueur de ma réponse, je me suis contenté de réaliser un copié-collé depuis ma boîte aux lettres, ce qui ne vous facilitera pas la lecture):
1°) "...mais la physique, la biologie, l'astronomie ne sont
pas plus falsifiables !" C'est d'abord logiquement faux:
puisque tout énoncé, pour avoir une valeur objective, (et
permettre des anticipations, des projets, permettant des
applications pratiques dans le futur), doit nécessairement
avoir la forme d'un énoncé universel au sens strict.
Exemple:
"tous les cygnes sont blancs". En l'occurrence, les cygnes
du
passé du présent et aussi du futur (cela sont
présentement
inobservables, et le fait que nous ayons observés un
grand
nombre de cygnes blancs jusqu'à maintenant ne vérifie
pas
l'énoncé universel: "tous les cygnes sont blancs"). De la
même manière, E = m.c², peut être formulé comme suit:
"toutes
le fois que nous observons (ou observerons) un objet
physique
en mouvement, nous pourrons affirmer qu'il développe
une
énergie (E) qui est égale au produit de sa masse (m) par
le
carré de sa vitesse (c²). Tout ceci signifie (ainsi que la
montré Popper dans "la logique de la découverte
scientifique"
qu'un contre-exemple (faisant partie de ce que Popper
nome la
base empirique de la théorie ou énoncé universel) soit
accepté par la communauté des hommes de science, pour
réfuter
la théorie. Il est tout à fait faux que les énoncés des
sciences que vous citez soient irréfutables, parce que
dans
ce cas, jamais aucune application pratique consécutive
de ces
énoncés n'auraient pu voir le jour. (pensez aux théories
constitutives des vaccins par exemple). Comme l'a dit et
démontré de façon magistrale Popper dans l'ouvrage que
j'ai
cité (voir le chapitre sur la base empirique), il est
justement impossible qu'une expérience soit "décisive",
c'est
à dire il est impossible qu'un test soit absolument certain
(tout comme il est impossible de déterminer à l'avance et
avec n'importe quel degré de précision, le degré de
falsifiabilité d'une théorie...le déterminisme scientifique,
tout comme le déterminisme mental sur lequel repose la
psychanalyse, est un projet qui échoue par nature avant
d'avoir pu commencer). Les scientifiques ne peuvent
donc
(comme l'a démontré Popper) que s'accorder, par
convention,
sur le caractère observable et testable que de certains
énoncés de base.
La science ne peut reposer sur aucune BASE ULTIME
(cette
croyance tenace, constitue l'erreur fondamentale des
relativistes, et des déterministes, notamment)
2°)"On sait depuis Gödel que
l'incomplétude...mathématiques."
Imre Lakatos, a également démontré que les
mathématiques
progressaient par conjectures et réfutations (selon le
schéma
de Popper).
3) "L'éradication de toute subjectivité...". Oui, le but de
la science est de corroborer des énoncés toujours plus
profonds et plus généraux; je parlerait plutôt, à la suite
de
Popper, "d'élimination progressive de l'erreur", et de:
"construction progressive de théories de plus en plus
semblables à la vérité objective (laquelle reste un but
inaccessible, mais n'en constitue pas moins une idée
directrice.
Si les théories sont faillibles (donc nécessairement fausses et
réfutables) c'est parce que précisément elles tentent de
toujours s'approcher de la réalité.
Einstein: "si les mathématiques sont certaines alors elles
ne
s'appliquent pas à la réalité, et si elles ne sont pas
certaines alors elles s'appliquent à la réalité" (cité par
Popper dans son livre: "les deux problèmes
fondamentaux de la
connaissance." Popper: "...je généraliserait à la science: si
la science est certaine alors elle ne s'applique pas à la
réalité, si elle n'est pas certaine, alors elle s'applique à
la réalité."
En somme, je pense que vos idées sur la science, sur
certaines sciences et sur la méthode scientifique,
reposent
sur certaines méconnaissances et sur la croyance que la
connaissance scientifique doit reposer sur des bases
ultimes.
Voyez ce que dit J.C ECCLES (prix Nobel) sur Popper
dans son
livre: "Comment la conscience contrôle le cerveau". Mais
également Jacques MONOD (prix Nobel) dans la
préface du livre
de Popper: "la logique de la découverte scientifique".
Également Hayek.
Bien à vous. Patrice.(je pense apporter d'autres
prolongements à ma réponse un peu rapide, je suis
actuellement pressé par le temps).
Patrice,REPONSE:
je crois que vous avez raison sur plus d'un point. En
effet, je
fais fort peu usage de l'approche de Popper, et j'en
confesse volontiers
une certaine méconnaissance. Toutefois, je fais partie
d'un mouvement
lacanien qui compte en ses rangs des spécialistes qui se
sont penchés
sur cette question, et à qui je fais totalement confiance.
L'idée relevée généralement est que Popper saisit très
bien la
question du désir qui anime le chercheur dans son
domaine
d'investigation. Mais il précise en liminaire d'un de ses
ouvrages: "Il
se trouve que les arguments présentés dans cet ouvrage
sont tout à fait
indépendants de ce problème". Or, nous prétendons que
la logique du
sujet scientifique et son désir sont partie prenante dans
ce qui est
observé du Réel (à ce propos, faites vous bien la
différence entre
réalité et Réel ?). Cette logique est justiciable d'une
topologie au
sens de Lacan, et ne relève pas de la logique classique
dont vous me
parlez (l'exemple des cygnes blancs). Du coup, Popper
passe à côté de
Freud à qui il reproche son vérificationnisme, et passe à
côté de la
psychanalyse dont il a pourtant toutes les coordonnées.
Il est vrai que nous, les psy, nous ne pouvons accepter le
statut que
Popper voudrait donner à la psychanalyse, parce que
nous constatons tous
les jours à quel point la clinique des patients vérifie
parfaitement les
fondements de cette discipline, et à quel point elle s'avère
opérante.
Une autre question circule: le fameux critère poppérien
ne peut-il
donner lieu à un nouveau dogmatisme en sciences , avec
invalidation et
stérilisation de certains domaines?
Mais vous avez encore raison sur un autre point. Je
pense
aussi que les théories scientifiques sont faillibles dans leur
mouvement
d'approche du Réel, et que c'est la raison pour laquelle
elles se
transforment continûment sans jamais toutefois atteindre
celui-ci. C'est
un point de vue platonicien. Mais cela emporte aussi
toute la définition
lacanienne du Réel, à entendre comme "impossible", c'est
à dire ce qui
résiste structurellement à toute approche symbolique ou
imaginaire. Dit
encore autrement, le Réel est ce reste, ce reliquat qui
subsiste quand
le Symbolique ou l'Imaginaire sont passés par là. C'est
bien là ce que
nous observons tous les jours avec nos patients.
Je connaissais la phrase d'Einstein, que je trouve en effet
très
belle.
Par contre, je n'ai jamais dit que la science était
UNE, qu'elle reposait sur un seul postulat. J'ai parlé de
postulats
différents pour des disciplines aussi différentes que
l'astronomie, la
biologie ou la physique. La science est en effet multiple,
mais
lorsqu'on cherche à isoler plus particulièrement une de
ses branches, on
est forcé de souligner la fonction majeure d'un consensus
parmi les
spécialistes de celle-ci. Or, ne s'agit-il pas quelquefois de
présupposés collectifs ?
Il n'empêche, comme vous le dites, qu'il y a des
applications
pratiques qui voient le jour, et qui apportent certains
soulagements à
l'humanité. La question pour moi ,et c'est ma recherche,
touche à ce
qu'il est possible de toucher du Réel à l'aide des outils
symboliques
dont nous disposons. C'est en particulier la place de la
mathématique
que je tente de mieux comprendre.
Mais vous, Patrice, quel statut donnez vous à la
psychanalyse? La
réfutez vous ? Etes-vous en question par rapport à elle?
En avez vous
une expérience ? Ces questions importent certainement
pour vous si vous
avez souhaité me contacter.
Dans l' attente de votre réponse, je vous prie de recevoir
mes
salutations cordiales.
Ma réponse:1°) Quel statut donnez vous à la psychanalyse ?
Avant de parler d'un statut, de manière directe, vous pourrez trouver dans le livre de Jacques BOUVERESSE s'intitulant: "Philosophie, mythologie et pseudo-science, Wittgenstein lecteur de Freud" (Editions: l'éclat, collection: tiré à part. Paris, 1991) une excellente réponse "objective" à votre question (autre que celle de POPPER). Je cite par exemple:"…Mais il est malheureusement encore plus difficile de soutenir que nous disposons aujourd'hui d'un concept cohérent et scientifiquement irréprochable ou même simplement acceptable de l'inconscient, qui satisfasse les conditions imposées par la théorie freudienne." (page 11)
"…Ce que la psychanalyse nous apprend sur nous-mêmes pourrait bien n'être pas d'abord et, en tout cas, pas uniquement ce qu'elle croit: elle nous met peut-être surtout en présence du fait anthropologiquement et épistémologiquement significatif, mais peut-être irréductible, que des explications comme celles qu'elle nous propose sont susceptibles de s'imposer immédiatement et de façon presque irrésistible à des êtres constitués comme nous le sommes." (page 12)
"…D'après ce qu'il a dit à Rhees, Wittgenstein pensait qu'il fallait se résigner à voir la psychanalyse exercer pendant longtemps une influence considérable et néfaste: "…il se passera beaucoup de temps avant que nous perdions notre soumission obséquieuse à son égard" (lectures and conversations, p.41). Pour apprendre quelque chose de Freud, il faudrait, remarque-t-il, avoir une attitude critique; et (comme le confirme rétrospectivement toute l'histoire du mouvement psychanalytique et de la culture psychanalytique), les théories comme celle de Freud ont, entre autres inconvénients, celui de susciter des formes d'allégeance qui rendent particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible, la critique." (page 23)
"…L'attitude de Wittgenstein était beaucoup plus proche du scepticisme "improductif" de Breuer que du dogmatisme créateur de Freud…Pour lui, quelqu'un qui pense que, pour des phénomènes comme ceux dont traite la psychanalyse, il doit y avoir une explication qui est l'explication et une raison qui constitue la raison n'est pas quelqu'un qui adopte simplement l'attitude scientifique qui s'impose en pareil cas, mais quelqu'un qui est déjà sur le chemin de la production d'une mythologie…Mais ce qui est certainement tout à fait caractéristique de la démarche de Freud est la façon dont il réussi à créer et à entretenir le mythe du scientifique héroïque qui réussit à imposer des découvertes révolutionnaires en triomphant de formidables préjugés." (page 24)
J'espère que ces passages vous auront mis l'eau à la bouche, et permettez moi de vous suggérer de lire les chapitres intitulés: "Le problème de la réalité de l'inconscient" et: "Les raisons et les causes". Cela vaut le détour croyez moi (comme d'ailleurs l'ensemble de ce petit livre).
Venons-en maintenant à votre question:
Je ne crois pas que la psychanalyse soit scientifique, pour d'excellentes raisons, qui me paraissent (qui sont) indiscutables parce que fondées sur la stricte logique. En conséquence, et si j'ai bien lu (et déjà relu) la "Logique de la découverte scientifique" de Popper, je ne crois pas non plus que les énoncés de la psychanalyse aient un contenu empirique quelconque. Je veux dire que ce sont, certes, des énoncés qui suscitent et qui ont suscité des formes inextricables d'allégeance, mais qui sont vides de contenu empirique (Cf. la belle phrase d'Einstein). Pour comprendre la relation logique qu'il y a entre réfutabilité et contenu empirique d'une théorie, il vaudrait mieux lire Popper. Mais disons qu'un énoncé qui est irréfutable, c'est à dire qui prétend être définitivement vérifié dans tous les cas (du passé, du présent, et du futur) ne peut avoir absolument aucun contenu empirique puisqu'il n'y a précisément rien sur quoi faire porter un test qui permettrait de réfuter un tel énoncé. Puisque les énoncés de la psychanalyse sont vides de contenu empirique (ils ne peuvent s'appliquer à la réalité malgré leur caractère particulièrement convaincant et apte à susciter l'allégeance) ils ne peuvent également donner lieu à aucune thérapie qui soit efficace (dont il soit possible de contrôler de manière indépendante et extra clinique l'efficacité).
Concernant la "réalité" de l'inconscient. L'inconscient n'est qu'un concept (sans doute issu de l'idéalisme hégélien), l'inconscient ne peut exister qu'en temps que conjecture (je ne nie pas qu'il s'agit là d'une des conjectures les plus passionnante de notre siècle) qui sera à jamais non testable empiriquement (dans les termes de la psychanalyse freudienne évidemment) et qui ne peut logiquement être liée qu'à un autre fondement erroné de la psychanalyse: le déterminisme mental (le déterminisme mental est impossible, parce que le déterminisme, ou tout projet de nature déterministe est impossible. Voir le livre de Popper à ce sujet: "L'univers irrésolu, plaidoyer pour l'indéterminisme.").Petite digression sur Hegel: Hegel écrit (une énormité dont il fut hélas coutumier): "tout ce qui est réel est rationnel, donc tout ce qui est rationnel est réel". Peut être que les psychanalystes ont pensé, à la suite d'Hegel, que pouvant donner une définition rationnelle de l'inconscient, cette définition, prouvait indubitablement sa réalité empirique. L'hégélianisme peut aussi nous conduire à formuler d'autres absurdités (peut-il conduire à autre chose ? En tout cas les idées de Hegel sont responsables des crimes les plus abominables que l'humanité est connue ) du genre: "la vérité existe puisqu'on peut la définir" (c'est de moi…). En somme, mon jugement sur la psychanalyse est très sévère et sans appel, mais ce n'est pas tout.
J'ai par ailleurs, notamment au sujet du livre de Sokal et Bricmont intitulé: "Impostures intellectuelles", qualifié certaines idées de Lacan comme "d'abjectes élucubrations" (jugement sur lequel je ne suis pas près de revenir),
Exemple:"La topologie n'est pas "faite pour nous guider" dans la structure. Cette structure, elle l'est - comme rétroaction de l'ordre de chaîne dont consiste le langage. La structure, c'est l'asphérique recelé dans l'articulation langagière en tant qu'un effet de sujet s'en saisit. Il est clair que, quant à sa signification, ce "s'en saisit" de la sous phrase, pseudo-modale, se répercute de l'objet même que comme verbe il enveloppe dans son sujet grammatical, et qu'il y a faux effet de sens, résonance de l'imaginaire induit de la topologie, selon que l'effet du sujet fait tourbillon d'asphère ou que le subjectif de cet effet s'en "réfléchit". Il y a ici à distinguer l'ambiguïté qui s'inscrit de la signification, soit de la boucle de la coupure, et la suggestion de trou, c'est-à-dire de structure, qui de cette ambiguïté fait sens." (Citation d'Alan Sokal et Jean Bricmont de Lacan, 1973, p.40, à la page 28 du livre).
Je pense que la psychanalyse, comme du reste des doctrines comme le déterminisme mental ou l'historicisme, ont toujours été, et seront toujours les plus importantes menaces contre l'idée du libre arbitre, c'est-à-dire contre l'individu. Ce que je trouve répugnant c'est que la plupart des gens acceptent le fait que des connaissances absolument certaines et irréfutables soient possibles, et qui plus est, que nous devrions cesser de nous interroger de manière critique à leur égard et même de cultiver en chacun de nous une sorte d'allégeance aveugle . Tout cela fut rendu possible par l'avènement de la psychanalyse et aussi du marxisme (même s'il a été "réfuté" 85 millions de fois, et par le chute du Mur de Berlin). Ce que je trouve totalement et irrémédiablement inacceptable c'est les prétentions à la scientificité ou même à l'objectivité quant à une prétendue possibilité de s'appliquer à la réalité, alors même que les énoncés de la psychanalyse ne peuvent s'appliquer à aucune réalité pour des raisons qui, elles, sont reconnues par des scientifiques qui ont tout de même obtenu le prix Nobel.
La psychanalyse n'a pour moi que le statut d'une conjecture métaphysique, mais même à ce titre elle ne peut égaler les conjectures métaphysiques en matière de physique théorique par exemple, qui comme on le sait, ont pour la plupart fini par pouvoir être formulées en hypothèses testables de manière empirique, indépendante et intersubjective.
Je reconnaîtrai que la psychanalyse à un contenu lorsque l'on m'aura décrit des énoncés qui soient TESTABLES DE MANIERE EMPIRIQUE, INDEPENDANTE, ET INTERSUBJECTIVE et qui ont été CORROBORES. Une simple confirmation ou une multitude de confirmations ne prouve évidemment rien puisque comme l'écrivit le philosophe anglais David HUME:
"il n'y a rien dans un objet considéré en lui-même qui puisse nous permettre de tirer une conclusion qui le dépasse, et même après l'observation d'une constante et régulière conjonction d'objets, nous n'avons aucune raison de tirer aucune inférence à propos d'aucun objet autre que ceux dont nous avons déjà eu l'expérience."
Il est, comme l'a déjà démontré Popper, facile de trouver des confirmations de théories, grâce à des faits qui justement ne sont la plupart du temps observés qu'à la lumière de ces théories…ce qui entraîne souvent la circularité dans les explications et donc l'absence de véritable explication.
Je réfute la psychanalyse dans le sens ou je pense que tout, absolument tout est faux, et vide de contenu empirique, c'est-à-dire qu'il n'y a aucun énoncé corroboré qui s'applique à la réalité.
Je n'ai pas cherché pour le moment à répondre à vos autres affirmations concernant les sciences, la différence entre réalité et Réel (je dirai tout simplement que la réalité est constituée par les théories, les tentatives d'explications que nous mettons à l'essai pour expliquer le Réel, qui reste, à jamais insaisissable totalement. Cela veut dire que la réalité est toujours une construction théorique, une approximation de la vérité par rapport au réel). Je demeure convaincu que les conséquences que vous imaginez au sujet du critère de démarcation de Popper sont erronées, je pense qu'il est absurde de considérer qu'il y aurait de prétendues sciences exactes, ce qui est déjà contradictoire en soi, puisqu'une science exacte veut dire une science qui est parvenue à fonder des énonces absolument certains, fondées sur des bases ultimes, ce qui justement signifieraient l'arrêt de toute recherche scientifique…Pourquoi continuer à chercher si nous sommes absolument certains de l'avenir, si nous pensons avoir bâti des "savoirs" capables de faire face à "tout le hasard", au futur…comment ne pas admettre que c'est absurde ! Si grossièrement faux et ABSURDE !! Bien sûr nous serions tentés de dire que les mathématiques sont les sciences exactes. Mais si c'était le cas, pourquoi alors, Einstein fut il obligé d'inventer de nouveaux outils mathématiques pour sa théorie de la relativité, pourquoi les "Principiae mathematica" de Russell et Whitehead, pourquoi y-a-t'il toujours des recherches effectuées en mathématiques, quel sens peut-on alors donner à l'œuvre de Gottlob Frege ? etc. Pourquoi ? Parce que mêmes les mathématiques et la logique ce sont révélées, incomplètes, et si elles se sont révélées incomplètes, c'est qu'elles n'étaient pas exactes, c'est-à-dire définitives. POPPER A LOGIQUEMENT DEMONTRE (PAR A + B SI JE PUIS DIRE) QU'IL EST TOUT A FAIT IMPOSSIBLE QU'UNE SCIENCE PUISSE REPOSER SUR DES BASES ULTIMES CE QUI VEUT DIRE QUE L'ON NE PEUT JAMAIS ÊTRE CERTAINS SOIT D'AVOIR VERIFIE UNE THEORIE, SOIT DE L'AVOIR REFUTEE, LES HOMMES DE SCIENCE EN SONT REDUIS A ACCEPTER PROVISOIREMENT, PAR CONVENTION, QU'UNE THEORIE A ETE REFUTEE. ET TOUT CECI N'EST EVIDEMMENT POSSIBLE QU'A LA CONDITION D'ADMETTRE DE FaçON PRESQUE DOGMATIQUE, QUE C'EST LE REALISME (LA CORRESPONDANCE AVEC LES FAITS) ET NON PAS L'IDEALISME (LA SIMPLE LOGIQUE DES IDEES) QUI GUIDE EN DERNIER RESSORT LES DECISIONS SCIENTIFIQUES…PARCE QUE COMME ON LE SAIT, LE REALISME DEMEURE UNE DOCTRINE INDEMONTRABLE.
Inutile de cacher plus longtemps que j'exècre tout ce qui vient de la psychanalyse, parce que je peux pas supporter que l'on prétende me définir avec des idées absolument certaines. Je veux croire à ma liberté, à une part de moi-même (le plus importante possible) qui échappe au pouvoir à priori d'autrui sur moi.
Je pense que les psychanalystes utilisent en fait le plus souvent des procédés de la psychologie qu'ils font passer pour de la psychanalyse. Aller chez un psychanalyste ? Autant tirer les tarots !!
Lorsque vous me dites que vous trouvez tous les jours des confirmations de vos théories, je ne peux que vous dire que cette attitude est l'archétype du positivisme, le contraire de l'attitude scientifique. L'archétype de l'attitude scientifique reste pour moi celle d'Einstein, ou d'Eccles, ou de Monod, ou de Shrödinger, ou de Hayek, ou de Bohr… parce qu'ils ont tous consciemment et volontairement soumis les théories qui leur étaient les plus chères aux tests les plus sévères et les plus objectifs qu'il était possible d'imaginer ou de concevoir à leur époque compte tenu des connaissances acquises et des possibilités technologiques. Or Freud et les psychanalystes ont toujours fait précisément le contraire. Freud a dit: "…ils (les américains) ne se doutent pas que nous leur apportons la peste…". Des livres comme:
"L'univers irrésolu, plaidoyer pour l'indéterminisme" de Karl R. Popper,
ou:
"Les illusions de la psychanalyse" de Jacques Van Rillaer,
ou:
"La psychanalyse, cette imposture" de Debray Ritzen. Font assurément partie des livres qu'on peut lire au sujet de la psychanalyse.Bon, que puis-je proposer aux psychanalystes:
1°) Formuler de la manière la plus claire et la plus précise possible un énoncé ou une série d'énoncés sur un de leurs objets de recherche (ex: essayer de formuler une classification des rêves, puis des énoncés universels au sens strict relatifs à cette classification, puis essayer de déduire un énoncé de base c'est-à-dire un falsificateur potentiel lequel sera soumis a des tests empiriques, extra-cliniques et intersubjectifs), qui puisse être testable empiriquement, de manière extra-clinique et intersubjective.
2°) Une fois l'énoncé formulé, rechercher en commun (au plan international) les moyens les plus sévères possibles pour tester la théorie.
3°) Si une théorie ou un énoncé à été corroboré par un test…continuer à chercher des moyens encore plus sévères pour tester la théorie qui vient d'être corroborée, et ainsi de suite. Ce qui veut dire que l'attitude scientifique véritable requiert une vigilance épistémologique constante et désintéressée.Une dernière citation:
"Si la psychanalyse renonçait à ses prétentions scientifiques, peut-être pourrai telle lâcher quelques-uns de ses adeptes et leur permettre d'inventer leurs légendes, celles qui permettent d'errer et de rire !" (François Roustang, in: "…elle ne le lache plus." Editions de Minuit, 1980. Cité par: Renée Bouveresse, in: "Une quête sans fin: le statut scientifique de la psychanalyse". In: Colloque de Cerisy, Karl Popper et la science d'aujourd'hui. Edition: Aubier. 1989. Page: 343).
Patrice Van Den Reysen: un dévot de l'idée du libre-arbitre, et du respect absolu de l'intégrité psychique de l'individu.
REPONSE:
Cher Patrice,
Je vous remercie pour votre franchise et vous félicite pour la remarquable érudition dont vous faites preuve dans le domaine de l'épistémologie, alors même que j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas un professionnel de la recherche ou de l'enseignement. Il est évident, si j'en juge par l'ampleur de votre courrier, que ce sujet vous tient particulièrement à coeur et que vous souhaitez vivement convaincre l'"égaré" que je suis. Nos positions, de fait, sont diamétralement opposées, et j'ai peur que cela ne remette en question la fertilité de notre échange. Vous citez dans votre dernier courrier l'intégralité de la "brochette" (pardon) des anti-freudiens fonciers. N'y a-t-il pas, Patrice, un soupçon de provocation dans votre démarche ? Je ne puis trouver le temps de répondre point par point à vos arguments, et ne puis que réaffirmer, une fois de plus, que seule la psychanalyse est en mesure de donner une limite au discours de la science, et par là-même de nous aider à comprendre comment la science est structurée. D'autre part, le sujet ne saurait s'appliquer à lui-même la méthode scientifique (avec mise en oeuvre des fameux tests poppériens) parce que cette méthode suppose en ses fondements sa propre éradication ! Il faut une autre logique dans l'approche des phénomènes du sujet, c'est précisément la voie lacanienne de la topologie. Je vous recommande donc vivement d'aller aux textes de Lacan sur ces sujets. En guise d'introduction, je vous adresse un article de psychanalyse sur le thème de l'"imposture" dénoncée par Sokal. Recevez mes cordiales salutations.
Ma réponse:
Certes, j'ai cherché à vous provoquer...Mais je me considère comme un "indécrottable de l'anti-obscurantisme": peut-être que de façon paradoxale, une démarche aussi bizarre que celle-ci n'est pas exempte de contradictions. Je n'aurai pas dû chercher à vous convaincre, d'ailleurs, comme l'écrit Popper, il est certainement plus riche et viable de se borner à démontrer pacifiquement, à l'aide d'arguments rationnels qu'il existe d'autres points de vue qui rendent la prétention à la certitude, de leurs concurrents, caduque. Malgré mon agressivité, je demeure intimement persuadé que l'idée d'une psychanalyse reste l'une des plus formidables conjectures de notre siècle. Mais pourquoi donc les psychanalystes ne tentent ils pas autre chose ? Par exemple en essayant de s'inscrire dans la grande tradition scientifique des neurosciences. Je pense ici aux travaux de John C. ECCLES et POPPER: "Comment la conscience contrôle le cerveau". Popper et Eccles ont mis au point la conjecture suivante: on peut diviser le monde en 3 parties: le monde 1, celui des objets physiques, le monde 2 des états de conscience, et le monde 3, celui de la connaissance au sens objectif (exemple les livres). (Eccles a réussi à corroborer la théorie anti-matérialiste selon laquelle c'est la conscience qu contrôle le cerveau, bien que conscience et cerveau, ou esprit et matière, soient en interaction). Les psychanalystes pourraient se lancer dans un programme de recherche scientifique visant à réfuter cette conjecture en 3 mondes, en y ajoutant un 4° monde: celui des états inconscients...dont les relations avec les autres mondes seraient à définir et à corroborer expérimentalement. Mon agressivité envers la psychanalyse tient, vous l'aurez compris, pour la menace qu'elle représente selon moi (et quelques autres) contre l'idée du libre arbitre. J'ai sans doute encore du mal à comprendre qu'il faut éviter la polémique pour qu'une discussion soit véritablement rationnelle et critique, voire fructueuse et amicale. En cela j'ai encore une fois quelque peu failli aux idéaux que je me suis forgés.
Bon, je pense que la psychanalyse peut évoluer dans une direction scientifique...cela dépend des psychanalystes.Je ne suis pas un érudit.
Recevez mes sincères salutations.
Patrice VAN DEN REYSEN.
On peut se demander si ce harnachement conceptuel rend seulement possible la compréhension de la psychanalyse ...
Réponse: mais comment faisons-nous alors pour tenter de comprendre quelque objet extérieur à nous-même? Car personne ne niera j'espère qu'une fois la psychanalyse "formulée", elle est pour ainsi dire "sortie de la tête de Freud ou de sa bouche" et que de cette façon elle devient un objet susceptible d'être étudié. D'être étudié avec objectivité ?…comment pourrions nous faire, si ce n'est, précisément, de l'extérieur ! La psychanalyse, que l'on soit psychanalyste ou pas, fait partie de ce que Karl Popper a nommé le Monde 3 (c'est à dire le monde de la connaissance objective qui peut être soumise à la lecture d'autrui, à sa réflexion, voire à sa critique) en relation avec le Monde 2 (celui des états de conscience) et du Monde 1 (celui des objets matériel comme le cerveau humain par exemple). Faisant partie de notre Monde 3, on ne peut donc la comprendre objectivement qu'en faisant usage d'essais de théorisation ou de conceptualisation qui doivent être nécessairement indépendants du cercle conceptuel de la psychanalyse. L'étude de l'"objet psychanalyse" nécessite une distanciation qui ne peut être faite qu'à l'aide de concepts qui lui sont indépendants. Dans le cas contraire on ne peut que tomber dans des explications de type circulaire au sujet de la psychanalyse, c'est-à-dire des explications vides de tout contenu et qui sont foncièrement inefficaces pour la comprendre. Quant à l'expression: "acharnement conceptuel", permettez-moi de dire que cet un comble pour une discipline qui n'est basée, justement, que sur des "concepts", lesquels, je le crains, sont tous vides de tout contenu empirique, parce que non testables de manière empirique et indépendante, et ce malgré leur tenace prétention à pouvoir expliquer une réalité psychique.
Celle-ci est d'abord expérience de soi-même et ses théories n'ont de sens et de valeur qu'en ce qu'un sujet est à même de les redécouvrir en lui-même au cours de sa vie ou, puisque cela est son enjeu, de son analyse. Pourquoi dans ce cas chercher un autre type de vérification empirique, extérieur ? En outre, accorder la primauté à la logique, n'est-ce pas d'emblée nier la nature inconsciente et affective de l'âme humaine ?
Réponse: Comment faire pour appréhender "la nature affective de l'âme humaine" ? Par des théories plus ou moins risquées, plus ou moins métaphysiques. Par des théories psychanalytiques, peut être…Si on prétend que ce sont ces dernières qui sont les plus à même d'appréhender ce dont nous parlons (l'âme humaine), c'est que ces théories sont formulées dans un langage ne serait-ce que pour être diffusées et enseignées entre "initiés". Si on prétend que ces énoncés psychanalytiques prennent forme dans un langage, ils peuvent donc servir à formuler d'autres énoncés, par exemple des énoncés de problèmes relatifs au fonctionnement de la vie psychique, ou des énoncés d'explication, analytiques, de cette vie psychique. Si maintenant on prétend détenir, à priori, une "psych-analyse" de la vie psychique qui soit objective, c'est qu'il existe une logique permettant d'articuler entre eux les énoncés constitutifs de la psychanalyse…Conclusion: face à l'inconnu, l'homme dispose d'une formidable capacité à émettre des conjectures sur le réel, mais cette capacité elle-même ne saurait exister sans la logique. Accorder la primauté à la logique (notons qu'à travers notre question, ce n'est pas tout à fait le problème que nous évoquions) ne consiste donc pas à nier la nature inconsciente et affective de l'âme humaine, mais reste rigoureusement inévitable pour, de fait, aborder, ou tenter d'expliquer la "nature inconsciente de l'âme humaine"!
Bien à vous. Patrice VAN DEN REYSEN.
Diable ! J'ai dans l'interprétation de votre message, pris "harnachement" pour "acharnement"! C'est assez comique je dois dire, mais au fond cela ne modifie pas beaucoup la réponse que je vous ai donnée. En l'occurrence, je pense que la logique et l'épistémologie ne fabriquent pas des concepts qui empêcheraient à la pensée de galoper librement...Dieu sait si des philosophes comme Hegel (dont la psychanalyse selon moi est issue) savaient la laisser galoper, quitte à formuler les pires absurdités, les pires élucubrations. Popper: "Hegel a fouillé la pensée si loin dans ses fondements que sa philosophie en ait devenue en grande partie inintelligible!". Par ailleurs, Kant a démontré dans la critique de la raison pure, que lorsque la spéculation, ou raison pure s'aventure dans des lieux où elle ne peux plus être contrôlée par les faits, elle court le risque de sombrer dans ce qu'il nomme des antinomies (des contradictions), c'est-à-dire des absurdités. D'ailleurs Shopenhauer déclare à propos de la métaphysique hégélienne: "encore une science de la langue et non de la tête !". Voilà bien un jugement qui pourrait parfaitement s'appliquer au sujet de la psychanalyse, qui n'a jamais pu être "harnachée" par des tests expérimentaux, et qui s'est toujours aventurée sans vergogne dans les délires conceptuels les plus divers (l'oeuvre de Lacan est je crois édifiante à ce sujet). La logique formelle, l'épistémologie, et la théorie de la vérité de A. Tarski (un jugement est vrai lorsqu'il correspond aux faits) par exemple, ne sont pas des harnachements conceptuels, ou s'ils en sont, ils sont surtout des gardes-fous indispensables à tout progrès de la connaissance objective. Un dernier mot: voilà ce que pensait Kant, qui passait pour être un homme posé et d'un grand calme, de la métaphysique (genre Hegel), cité par Karl Popper (in: "La société ouverte et ses ennemis"):
"Je ne cherche pas à dissimuler que je n'éprouve que répugnance(...)pour la boursouflure prétentieuse de tous ces ouvrages pleins de sagesse actuellement en vogue. Car je suis foncièrement convaincu(...)que les méthodes admises ne feront qu'accroître indéfiniment ces folies et ces erreurs et que même l'anéantissement complet de tous ces travaux fantaisistes ne pourrait être aussi néfaste que cette fausse science avec sa maudite fécondité."Bien à vous.
Patrice VAN DEN REYSEN..
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