Un résumé
de la véritable méthode scientifique :
(modifié le 25/06/2004).
Un site intéressant sur la démarche scientifique et ses différents aspects.
Pour un résumé de Karl
R. Popper lui-même, outre "La logique de la découverte scientifique",
le lecteur pourra avantageusement se reporter au livre suivant : "Les deux
problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance" (Karl
R. Popper, "La méthode de falsification empirique". Edition : Hermann,
1999, pages : 450 à 454).
Lorsque les hommes de science veulent améliorer
leurs connaissances objectives d'un problème ou d'un phénomène
particulier, ils doivent tout d'abord posséder une théorie qui
tente d'expliquer le problème en question. Ils doivent donc émettre
une conjecture explicative du problème qui prendra la forme d'un constat
d'une certaine régularité. Par exemple : "il semble que toutes
les fois que certaines conditions sont réunies, nous obtenons tel
phénomène chimique ou biologique...". Comme on le voit cette
première conjecture, ce point de départ, doit prendre la forme
d'un énoncé universel. Dans un contexte authentiquement scientifique,
cette première approche du problème à résoudre,
formulée, comme nous l'avons dit, en conjecture d'une certaine
régularité, dépendra fortement du "savoir acquis" déjà
corroboré. Ce savoir participe à l'approche du problème
dans la construction de la nouvelle conjecture en permettant aux scientifiques
de "voir" ce nouveau problème parce qu'ils peuvent formuler des hypothèses
sur les conditions intiales de son apparition. Le "savoir acquis", est
donc nécessairement partie constitutive du système d'attentes
perceptives objectif des scientifiques sur le problème étudié.
Ensuite, ils doivent rechercher les moyens d'améliorer les pouvoirs
explicatifs de leur conjecture en en augmentant le contenu empirique corroboré,
c'est-à-dire en augmentant le contenu de ce qu'elle peut dire du
problème à résoudre ou du phénomène à
expliquer. Pour cela, et ainsi que le montre Popper dans "la logique de la
découverte scientifique", la méthode scientifique revient toujours
à essayer de mettre à l'épreuve la théorie en
lui demandant de prédire qu'elle ne sera pas réfutée
si on lui oppose une autre théorie concurrente. Par cette mise à
l'épreuve de son contenu explicatif et prédictif, les scientifiques
espèrent que leur théorie sera corroborée (le sens
commun aime dire, à tort, "confirmée", ce qui laisse souvent
croire que les scientifiques recherchent activement des "confirmations" ou
des "vérifications" plutôt que des réfutations).
Mais ils savent que tenter de réfuter est inévitable et nécessaire
pour apprendre quelque chose de nouveau, ils savent que même en cas
de réfutation de leur théorie, le savoir progressera
aussi. En d'autres termes, le pouvoir informatif et explicatif d'une
théorie (son contenu empirique) progresse s'il parvient à
résister à la prédiction de nouveaux faits qui pourrait
la réfuter en l'obligeant à être reformulée donc
à être reconnue comme fausse dans sa formulation initiale.
Par conséquent lorsque les scientifiques veulent essayer de réfuter
une théorie, ce qui constitue bien leur méthode de travail,
ils tentent de dériver (ce processus de dérivation est
exclusivement déductif et ne peut jamais relever d'une quelconque
induction) de sa base empirique, constituée par la classe des
énoncés de base de la théorie, un énoncé
contradictoire susceptible d’être soumis à un test : un "énoncé
de base" sous la forme "il y a...tel événement E potentiellement
capable de contredire la théorie T sous certaines conditions initiales
C . Encore faut-il que la conjecture que l'on veut ainsi essayer de réfuter
soit formulée de telle façon qu'elle admette l'existence
d'une classe d'énoncés contradictoires, ou qu'elle ne soit
pas sans cesse reformulée pour éviter ce genre de "contradictions"...
Puis, si cet énoncé est confirmé par le test, c’est-à-dire
" qu’il y a bien tel ou tel événement se produisant
" pourtant interdit par la théorie, alors la théorie est réfutée,
par la confirmation d’un de ses falsificateurs potentiels ou énoncés
de base. Par contre, si le test infirme l’énoncé de base, c’est-à-dire
" qu’il n’y a pas tel ou tel événement qui se produit
et que la théorie interdit bien de se produire ", alors la théorie
est corroborée. Mais que signifie exactement une corroboration, au
sens de Popper évoqué ici ? Une théorie ne peut être
corroborée que si le test qu’elle passe avec succès est inscrit
dans une tradition précédente de recherche ou des tests antérieurs
logiquement déductibles les uns par rapports aux autres, c’est-à-dire
si le nouveau test qui a permis de la corroborer a été déduit
d’un précédent en lui demandant une mise à l’épreuve
supplémentaire, inédite, c’est-à-dire un contenu supérieur.
Donc lorsqu'une théorie passe avec succès un nouveau test,
plus sévère parce que plus riche en contenu, ou comportant un
obstacle inédit pour elle (un obstacle qui aura pu être construit
grâce à de nouvelles avancées technologiques ou théoriques
permettant de nouveaux tests plus sévères), alors elle
nous apprend indiscutablement quelque chose de nouveau, en réussissant
à incorporer davantage de contenu et devient toujours plus improbable
et falsifiable. Il y a donc bien un critère de progrès scientifique
(défini par Popper dans le chapitre 10 de " conjectures et réfutations
") qui est le degré d’improbabilité logique d’une théorie
puisque plus une théorie à de contenu corroboré, plus
elle prend de risques à "prédire l’avenir" (le contenu
corroborré d'une théorie en aérodynamique, par exemple,
permettra de prédire que si l'on construit un avion ou une fusée
de telle manière, son vol sera amélioré, ou mieux sustenté,
selon certaines conditions précisées par la théorie),
plus elle est donc falsifiable, c’est-à-dire que c’est le degré
de falsifiabilité, dépendant du degré de corroboration
qui est le témoin du progrès scientifique. La corroboration
ne signifie donc jamais la stagnation dans le domaine de la Science empirique,
les tests qui permettent une corroboration scientifique sont relatifs les
uns aux autres et ont leur histoire…Si les hommes de science arrêtaient
leurs recherches à partir d’un certain degré de corroboration,
il n’y aurait plus de progrès scientifique, mais une science constituée
jusqu’à un certain point.
Il
est donc impossible de produire une connaissance scientifique en ignorant
ou en faisant table rase de la tradition de recherche qui a pu se pencher
auparavant sur le problème que l'on se donne comme objet d'étude.
La recherche scientifique impose au chercheur d'être avant tout un historien
passionné et érudit de son objet de recherche, s'informant inlassablement
des dernières évolutions en matière de test qu'il est
possible de faire subir à cet objet. De ce fait, une connaissance
scientifique ne peut être une "révélation du Néant"
(ou même une espèce d'auto-révélation, comme la
prétendue scientificité de la découverte du complexe
d'Oedipe par Freud), elle ne peut démarrer de zéro ou même
de l'observation passive (ou pure des faits), puisque toute observation
est forcément imprégnée de théorie, c'est-à-dire
guidée par une théorie sélective sur l'objet à
observer, théorie plus ou moins performante dont l'évolution
est lisible par son histoire. Les "faits scientifiques" ne tombent
pas dans notre esprit comme s'il s'agissait d'un seau vide à remplir
de connaissances, ils dépendent de théories sélectives
consciemment formulées, qui après avoir été
testées, permettent de les accepter ou de les rejeter. Puisque les
scientifiques doivent connaître leur tradition de recherche, la recherche
scientifique a donc des aspects sociaux : il est logiquement indispensable que les scientifiques
communiquent, discutent, en échangeant leurs points de vue sur leurs travaux
et en organisant une concurrence objective et contrôlée entre
leurs programmes de recherche, lesquels ne peuvent conserver leur valeur heuristique
en restant isolés de tout contexte concurrentiel concrétisé
par l'existence d'autres programmes pour un objet d'étude commun.
Il est donc inévitable que ce genre de discussion aboutisse à
la construction de tests communs, répétables, intersubjectifs,
lesquels ne peuvent être absolus et définitifs. Ces tests sont
les moyens de ce que Popper nommait : "le rationnalisme
critique".
Un exemple de conception erronée de la démarche
et de la méthode scientifique :
"La richesse des observations fiables sur lesquelles les affirmations de la psychanalyse reposent les rendent indépendantes de vérifications expérimentales." (Lettre de Freud à Rosenzweig. 1934).
"Hypotheses non fingo, disait Newton. Freud, lui, déclare bien forger une hypothèse ou "supposition" (Annahme), celle de l'inconscient psychique, en ce sens qu'il induit, comme proposition, d'une série d'observations soumise au contrôle de l'expérience et qu'il la vérifie a posteriori par un raisonnement hypothético-déductif [...]"Ce que nous dit le patient en analyse est parfois en rapport avec ses véritables problèmes, mais c'est toujours en rapport avec les dogmes de l'analyste. Celui-ci filtre ce qui s'accorde avec ses prémisses et plie les associations du patient à ses cadres interprétatifs; l'analyste est en outre largement responsable des thèmes qui apparaissent. Les prédictions qu'il formule dès les premières séances se vérifient parce qu'elle sont posées au départ. Le psychanalyste déclare qu'une série de fantasmes n'apparaissent que dans la cure : c'est exact, mais il oublie que c'est la situation qui les suscite et les modèle. Lorsque les aveux de l'analysé s'accordent avec ses préjugés, le psychanalyste dit que les résistances sont vaincues et que le transfert est positif. Le bon patient, c'est le bon élève, celui dont les paroles sont l'écho de la doctrine. L'analyste croit être le miroir de son patient. En fait c'est le patient qui est un miroir. L'analyste est tout heureux de retrouver dans les paroles de l'analysé le scénario qu'il lui a "soufflé"; il est chaque jour un peu plus convaincu de détenir la Vérité."
(In: Jacques Van Rillaer. "Les illusions de la psychanalyse.". "Le programme psychanalytique". Edition: Mardaga. Page 202.)
Commentaire : comparer Freud et Newton ?...
"...soumise au contrôle de l'expérience..." (!) Mais Freud
n'a jamais procédé à aucune expérience qui ait
pu mériter le label de scientificité et pour cause : aucun
contrôle intersubjectif, aucune répétabilité de
tests indépendants et extracliniques, lesquels, de toute façon
n'ont jamais existé. Formuler l'expression : "...soumise au contrôle
de l'expérience..." à l'endroit de Freud relève donc
du mensonge pur et simple et de la désinformation, deux procédés
pour lesquels, il est vrai, les psychanalystes sont passés maîtres.
Mais comme toujours, certains s'imaginent que "plus c'est gros, mieux ça
passe".
"Il (Freud) formule une hypothèse ferme induite de la parole névrotique
et en déduit rigoureusement les conséquences."
(Paul Laurent
Assoun, psychanalyste, in : Sciences et avenir, hors-série, n°127,
juillet août 2001).
Commentaire : oui, si la méthode inductive était réellement la méthode des sciences permettant de "justifier" des énoncés universels, alors, en n'en pas douter, la psychanalyse serait une science au même titre que n'importe quelle autre science de la Nature. Or, Assoun, soit ignore complètement en quoi peut bien consister la véritable méthode scientifique depuis Karl R. Popper (lequel a démontré que, d'une part, il ne pouvait y avoir de méthode inductive reposant elle-même sur un principe d'induction qui soit utilisable comme critère de démarcation entre énoncés scientifiques et métaphysiques, et d'autre part, que puisque de part leur forme logique, les énoncés universels de la science ne peuvent être vérifiés de façon certaine par aucune méthode inductive ou positive, ils peuvent en outre être réfutés par la déduction puis la mise à l'épreuve de leur base empirique d'une hypothèse falsifiante), soit a arrêté son horloge épistémologique au temps du Cercle de Vienne (quoique dans ce cas il lui faudrait éliminer les énoncés sur l'inconscient, tous de nature métaphysique). En effet, puisqu'il ne peut y avoir d'observation pure des faits, (Kant : "nous ne connaissons à priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes." Popper démontre également, dans "La connaissance objective", que les faits ne tombent pas en nous comme dans un seau vide, et que de ce fait, le progrès de la connaissance suppose toujours la mise à l'épreuve des conjectures que nous pouvons formuler sur les problèmes) on se demande comment "la parole névrotique", caractérisée en tant que telle, a pu être identifiée sans qu'une théorie des névroses n'ait été, au préalable, supposée. Personne, pas même Freud "découvrant" les névroses, ne peut dire sans avoir clairement conjecturé à priori leur existence : "tiens, voilà mes névroses tant recherchées." C'est comme si un paléantologue découvrant pour la première fois une dent de dinosaure, était en mesure de dire, sans même avoir supposé le terme "dinosaure" : "tiens, la voilà ma dent de dinosaure que je recherchais." Par conséquent, la base empirique de l'hypothèse qui sous-tend ce que l'on peut qualifier de névrotique dans "la parole névrotique", ne peut être composée que d'énoncés singuliers d'observation qui la confirment positivement, c'est-à-dire d'observations qui ne peuvent être réalisées qu'à la lumière de la théorie des névroses, laquelle n'a jamais été testée de manière indépendante et extra-clinique. Mais, comme l'a démontré Popper, cette catégorie d'énoncés de la base empirique n'entrant pas en contradiction avec la théorie, ne risquent pas d'en révéler son contenu (empirique), c'est de la deuxième catégorie d'énoncés de la base empirique, ceux qui contredisent potentiellement la théorie, que l'on peut, après un test, révéler le contenu empirique de la théorie des névroses.
Assoun dit ensuite : "et en déduit rigoureusement les conséquences." Certes, cela ressemble ici à la méthode scientifique, car, une fois qu'une hypothèse est formulée sous la forme d'un énoncé universel au sens strict, nous pouvons tenter d'en déduire des conséquences testables. Mais en quoi consistent ces "conséquences testables" ? Qu'ont-elles de particulier ?
On peut envisager
3 cas, qui finalement, diffèrent assez peu les uns des autres :
1° cas
:
Dans ce premier cas, les conséquences testables de la théorie
que l'on met à l'épreuve expérimentale, consistent
en la prédiction de faits potentiellement contradictoires et déductibles
de la théorie, qui, si ils sont infirmés par le biais d'une hypothèse
falsifiante, (déduite de
la classe des énoncés de base de la théorie et construite
sur la conjecture que ces "faits existent" et peuvent réfuter la théorie),
laquelle tentait de les confirmer
pour réfuter la théorie testée, permettent la corroboration de la valeur heuristique
de la théorie initialement testée, puisque cette théorie
a réussi à prouver que, telle qu'elle était formulée avant le test, elle a resisté à la prédiction de
nouveaux faits jugés susceptibles de la réfuter (falsifier)
. En d'autres termes, la nature d'un test proposé revient à
demander à la théorie de prouver qu'elle n'est pas réfutée
par la confirmation expérimentale d'un de ses falsificateurs potentiels, c'est-à-dire, un fait contradictoire (un "non-x", quand "x" représente un énoncé
permis par la théorie) ou qui lui demanderait d'être reformulée pour rendre compte d'un contenu empirique
supérieur.
2° cas
:
On peut également rendre compte de ce processus du progrès
de la connaissance scientifique en disant qu'une théorie scientifique
prouve la réelle valeur heuristique de son contenu quand elle permet
de prédire que certains événements inédits se
réaliseront ou pourront être observés, lesquels si ils
ne se réalisent pas ou ne sont pas observés, peuvent être
considérés comme une réfutation de la théorie.
Par exemple, l'observation d'une nouvelle planète ou une nouvelle
particule. Bien que rejetant le critère de démarcation de Popper,
Lakatos insiste particulièrement sur cet aspect, en décrivant
ce qu'il nomme "l'heuristique positive" d'un programme de recherche.
En pareil cas, la nature des faits à prédire diffère
un peu de celle à laquelle nous avons fait allusion précédemment
: dans cette catégorie, les faits à prédire peuvent
ne pas constituer en eux-mêmes des négations pure et simple de
la théorie ou quelque chose qui équivaudrait à une négation,
ou une contradiction de la théorie. Ces faits sont inédits
parce qu'ils nécessiteraient, à première vue, une théorie
plus englobante, donc révisée dans sa formulation de base,
pour l'ancienne théorie, mais pas pour celle qui est sensée
permettre ces nouvelles observations. De ce point de vue les conséquences
testables d'une théorie scientifique consistent en ce que ces conséquences,
déductibles de la théorie, la mettent toujours à l'épreuve
en lui demandant de réaliser une prédiction inédite.
Si cet énoncé d'observation a vraiment une valeur inédite
objectivement reconnue, il sera donc toujours un falsificateur potentiel
de la théorie. On retrouve donc ici, la logique de la découverte,
qui consiste toujours à mettre à l'épreuve les théories,
donc à tenter de les réfuter. Lorsque nous disons qu'une théorie
doit permettre de prédire tel événement, cette prédiction
consititue une tentative de réfutation. Si la prédiction se
réalise la théorie est corroborée, si elle ne se réalise
pas la théorie est réfutée par l'intermédiaire
de l'une de ses conséquences déduites.
3° cas
:
Une théorie prouve sa valeur scientifique et heuristique également
si elle permet de prédire que certaines applications pratiques, par
exemple technologiques, seront possibles et sont effectivement réalisées,
ce qui est un peu semblable à ce que nous avons dit précédemment.
Dans ce cas il y a aussi mise à l'épreuve de la théorie
dans le sens où l 'hypothèse falsifiante de telles théories
amènerait à tester et confirmer que l'on ne peut réaliser
telle nouvelle machine. Dans ce sens, les scientifiques s'attendent logiquement
à ce que l'hypothèse falsifiante soit confirmée tout
en espérant qu'elle ne le sera pas et donc que la théorie
intialement testée sera corroborée par la preuve qu'elle permet
la conception d'une nouvelle technologie. En somme dans ce dernier cas les
scientifiques semblent dire à leur théorie : "si tu es vraiment
une bonne théorie scientifique, tu devrais être capable de nous
permettre telle application pratique.." Si ce problème est effectivement
posé par les scientifiques c'est logiquement qu'ils envisagent à
la fois une issue positive et négative du problème parce
que ce problème consiste en fait en une question posée à
leur théorie, question qui est nécessairement chargée
d'incertitude (une alternative) quant à la réponse. Ce qu'il
faut bien comprendre ici c'est que la seule hypothèse qui peut être
testée en pareil cas, comme hypothèse falsifiante de la théorie,
c'est : "non , sous certaines conditions initiales bien définies, cette
théorie ne nous permet pas la fabrication de cette machine..."
Comme on vient de le voir en résumé, tester une théorie scientifiquement revient toujours à essayer de la réfuter...pour la corroborer. Les scientifiques espèrent le plus souvent qu'il y aura une corroboration. Une réfutation revient à démontrer que la théorie testée est fausse parce que niée ou contredite par un de ses falsificateurs potentiels, ou bien fausse parce qu'incomplète, pas suffisamment englobante ou générale, et enfin réfutée ou comportant une part de fausseté parce qu'incapable de permettre la réalisation de certaines choses ou d'autres observations.
Mais dans le cas des étiologies spécifiques développées par Freud pour les différentes sortes de névroses (ces étiologies ont été développées pour adapter la théorie des névroses à presque tous les cas...), il n'y a, faute de conditions initiales expérimentales strictes qui soient reproductibles de manière indépendante et extra-clinique, aucun moyen pour la psychanalyse d'utiliser la théorie des névroses dans un sens authentiquement prédictif et heuristique. Si l'on découvre que la théorie des névroses est "fausse" ce n'est pas parce qu'une partie de son contenu empirique a été réfutée empiriquement sur la base d'une hypothèse falsifiante, c'est plutôt parce que l'on découvre qu'elle est plutôt sans fondement, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de preuves indépendantes qui autorisent la suppostion que les confirmations positives de l'hypothèse des névroses soient fondées comparativement à d'autres types de confirmations (le genre de preuves qui peut être logiquement déduit de la théorie des névroses mais qui n'entre pas, à priori, en contradiction avec elle. Autrement dit, le type même d'énoncé singulier possible, à partir de la théorie des névroses, entrant dans la sous-catégorie "a)" décrite ci-après) : quelles sont les raisons objectives et testées expérimentalement qui ont permis à Freud d'éliminer certains types de confirmations positives au profit d'autres ?.
Par exemple et d'un point de vue plus général :
- De l'énoncé (E) : "Tous
les cygnes sont blancs", on peut déduire
sa base empirique composée des deux sous-classes suivantes :
- a) la sous-classe
des cygnes blancs observés jusqu'à aujourd'hui, et observables
dans le passé et le futur (1)
- b) la sous-classe
des cygnes non-blancs (rouges, noirs, gris, etc...) que l'on a pas encore
observés.
- a) et b) constituent la classe des
énoncés de base de la théorie (E) : "Tous les cygnes sont blancs".
Mais comment
progresserait notre connaissance sur la couleur des cygnes ? La seule manière,
on le voit, est de demander à la théorie de prédire
qu'il n'y a effectivement pas de cygne non-blanc, même si on lui oppose,
à titre d'hypothèse falsifiante, (hypothèse proposée pour la construction
d'un test dans le but de falsifier ou réfuter (E) si cette même
hypothèse est confirmée par le test) que l'on peut, sous
certaines conditions initiales, (car on ne peut déduire
aucun énoncé de base d'aucun énoncé universel
sans conditions initiales. Lire Karl R. Popper, in : "la logique de la découverte
scientifique", édition Payot, pages 100 à 102) observer
un cygne noir (dans tel pays, à tel heure, etc...) qui constitue bien
un fait inédit pour la théorie en dehors de cygnes blancs déjà
connus par l'intermédiaire de cette théorie. Par conséquent,
notre connaissance objective sur la couleur des cygnes, progressera si et
seulement si nous parvenons à démontrer qu'il peut y avoir des
cygnes non-blancs, c'est-à-dire si l'on parvient à réfuter
(E), et même si (E) est corroborrée, c'est-à-dire si la
tentative de réfutation échoue. Ce qui est important
de comprendre ici, c'est la possibilité de la mise à l'épreuve
de (E) : si (E) peut effectivement être mise à l'épreuve
par l'intermédiaire d'un test empirique lui demandant de prédire
quelque chose d'inédit, la connaissance progressera qu'il y ait corroboration
ou réfutation de (E). Dans les deux cas nous apprendrons quelque chose
de nouveau sur la couleur des cygnes comme nous allons le démontrer
dans ce qui suit.
Partant de cette situation, il y a deux cas de figure :
1°) Si l'hypothèse falsifiante est infirmée et continue de l'être de manière intersubjective,
c'est-à-dire s'il reste impossible d'observer un cygne noir selon les
mêmes conditions initiales pré-définies lesquelles dépendent
de la théorie testée, alors la théorie (E) est corroborée et
nous apprend quelque chose de nouveau : "il n'y a pas de cygnes non-blancs (ou "autres que blancs")
qui puissent être noirs". D'où, il demeure que (E) : "Tous les cygnes sont blancs (et non-noirs)". Ce
dernier fait était inconnu avant le test et constitue bien une nouveauté apprise, laquelle
engendre un nouveau problème pour le progrès de la connnaissance sur la couleur
des cygnes, celui de tester par exemple la théorie: "tous les cygnes
sont blancs et non-noirs". Autrement dit : "existent-il des cygnes qui soient
à la fois autres que blancs et autres que noirs ?" Ceci constitue
le contenu du nouveau problème issu de la corroboration du premier
énoncé : "tous les cygnes sont blancs".
2°) Si l'hypothèse falsifiante est confirmée et continue de l'être de manière intersubjective,
c'est-à-dire si l'observation d'un cygne noir (on en trouve en Australie),
(observation qui prend la forme
d'un énoncé singulier relatif
à des coordonées spatio-temporelles,et non d' un énoncé
existentiel au sens strict), est
reproductible selon des conditions initiales pré-définies, alors
la théorie "Tous les cygnes sont blancs"
est réfutée et sa réfutation nous apprend aussi quelque chose
de nouveau : "il n'y a pas de cygnes qui puissent être non-blancs ou
non-noirs". D'où la nouvelle formulation : "Tous les cygnes sont blancs ou bien noirs". Cette dernière formulation interdit les cygnes "non-blancs"
ET les cygnes non-noirs"... Elle sera à son tour réfutée
si l'on observe un cygne rose qui n'est pas un flament, et donnera, en cas
de réfutation : "Tous les cygnes sont
blancs, ou bien noirs, ou bien roses." etc... (Comme dans le cas précédent, ce dernier
énoncé, engendrera de nouveaux problèmes pour l'amélioration
de la connaissance scientifique sur la couleur des cygnes).
Pour en revenir à notre propos, celui de la validation de la théorie
des névroses, la "réfutation" de la théorie
n'entraîne pas d'augmentation de son contenu empirique "corroboré",
mais une diminution, (il n'y a pas de nouveau problème à élucider
qui surgit de l'échec d'une telle théorie : sa valeur heuristique
devient presque nulle) voire la preuve d'une absence totale de fondement
: un cas positif (et par voie de conséquence, peut-être plusieurs
autres) appartenant à la sous-classe du type "a)" se trouve éliminé.
En renouvelant d'autres expériences de ce type, il est probable qu'
il ne reste plus que des mots, une idée hégélienne,
un mésusage du verbe complètement métaphysique. (2)
"J'estime que l'on ne doit pas faire de théories - elles doivent tomber à l'improviste dans notre maison, alors qu'on est occupé à l'examen des détails." (lettre de Freud à Ferenczi, cité par Paul Laurent Assoun, in : Sciences et avenir, hors série, n°127, juillet août 2001).
Commentaire : c'est la "théorie de l'esprit-seau" (erronée)
dans toute sa splendeur. (Lire Karl R. Popper in : "La connaissance objective").
Patrice VAN DEN REYSEN
"Le succès de l'entreprise scientifique s'évalue
(...) traditionnellement à la capacité qu'ont les chercheurs
de déshistoriciser leurs descriptions, de les rendre indépendantes
des vicissitudes individuelles, sociales, matérielles, climatiques,
chronologiques, qui ont jalonné leur travail et en ont précédé
l'achèvement. Lorsque toutes les conditions pour cela sont remplies,
il est rare qu'on conteste les engagements ontologiques des chercheurs
scientifiques au nom du fait, évident, que leurs entités se
laissent seulement connaître comme phénomènes, à
la fin d'une histoire performative et intellectuelle complexe. (...) En psychanalyse,
l'écart par rapport à la science classique de la nature est
encore plus grand. S'il est vrai que se prêter a postériori à
soi-même des désirs et représentations inconscientes est
partie intégrante de l'efficacité de la cure, la condition centrale
pour affranchir cette auto-attribution de l'histoire qui y a conduit ne se
trouve pas remplie. L'"aveu" (ou auto-attribution) est en effet constitutivement
tributaire, comme on l'a vu, de l'autotransformation obtenue au décours
d'une histoire thérapeutique. Rien en permet de faire abstraction des
mutations psychiques que le patient a subies durant le processus curatif,
dans le contenu de la reconstruction rationnelle qu'il est disposé
à accepter en fin de parcours comme reflétant les structures
récurrentes de son propre psychisme. Quel que soit le pouvoir régulateur
d'une auto-attribution de motivation inconsciente au cours de la cure, certaines
conditions d'assertabilité de l'existence autonome d'un "inconscient"
font donc défaut. Le seul facteur qui a pu faire obstacle quelque temps
à la reconnaissance du manque de crédibilité de cette
assertion est sans doute la présence d'une boucle de rétroaction
entre la vertu cathartique de la cure psychanalytique et l'engagement ontologique
qu'elle implique. L'oeuvre transformatrice de la psychanalyse ne dépend-elle
pas dans une mesure non négligeable de sa capacité à
faire croire aux patients qui y ont recours, et qui participent de notre
culture, que la prétention de ses instances à l'existence s'appuie
sur des raisons du même ordre que celle des entités de la science
classique ?"
(Michel BITBOL, chercheur au CNRS, chargé de cours
à l'Université Paris-1. in: "Physique et philosophie de l'esprit."
Edition, Flammarion, Paris, 2000. Page : 137-138.)
(1) La
confirmation positive, par observation, d'autres cygnes blancs, ne donne
aucune preuve définitive de la totalité du contenu et de la
base empirique de E : "Tous les cygnes sont blancs", pour le passé,
le présent et le futur. En fait, cette impossibilité tient
au fait que l'on ne peut observer "toute la partie du temps", mais seulement
une partie singulière, moyennant des conditions intiales d'observation.
On peut aussi construire des énoncés loufoques, de manière
purement verbale, comme nous pourrions dire : "sur Jupiter, il ne peut pas
ne pas y avoir de cygnes". (Ou par exemple, dans le cas de la psychanalyse
: "l'homme ne peut pas ne pas avoir un inconscient du type freudien").
Le premier énoncé interdit qu'il n'y ait pas de cygnes
qui vivent aussi sur Jupiter et peut donc être formulée à
l'aide de l'énoncé existentiel au sens strict : "il y a des cygnes sur Jupiter", ou dans le cas de la psychanalyse
: "il y a un inconscient du type freudien", ou : "il y a des névroses
qui répondent aux critères de la psychanalyse". Comme on le
voit, ces énoncés existentiels au sens strict sont irréfutables : on ne peut, dans la totalité
du temps, vérifier, sur Jupiter, qu'il n'y a pas de cygne ou, dans
le cas de la psychanalyse, qu'il n'y a pas quelque chose qui confirme
la théorie des névroses ou de l'inconscient freudien, (car le fait d'aller sur Jupiter aujourd'hui ou même
dans un siècle et ne pas réussir à observer un seul cygne
blanc ne peut réfuter l'énoncé : "il y a des cygnes blancs
sur Jupiter", puisque sans avoir précisé de conditions initiales
strictes avant d'être allé sur Jupiter nous pouvons toujours
dire que si nous n'avons observé aucun cygne c'est par manque de chance
et que l'observation des cygnes reste toujours possible pour une prochaine
tentative. En somme, ce n'est pas parce que nous n'aurons observé aucun
cygne blanc sur Jupiter aujourd'hui, qu'il n'y en aura pas demain ou dans
un millénaire, conformément à notre énoncé,
puisque notre énoncé "il y a des cygnes blancs sur Jupiter",
ne précise aucune coordonnées relatives au temps ou à
l'espace, comme nous l'avons déjà dit. Mais comme cela, et
ainsi que je veux le faire comprendre, on peut affirmer à peu près
tout et n'importe quoi. On pourrait même rétorquer que l'absence
d'atmosphère identique à l'atmosphère terrestre sur Jupiter
rendant impossible l'observation des cygnes ne peut réfuter l'énoncé
exitentiel "il y a des cygnes sur Jupiter" puisqu'il est impossible de prédire
avec une certitude scientifique absolue de quoi sera faite l'atmosphère
de Jupiter dans, disons, quelques millénaires, et de savoir s'il ne
sera pas possible d'y faire nager des cygnes blancs...!) mais on peut le(s) considérer comme "vérifiables(s)
positivement", et non certainement vérifiables(s) comme en psychanalyse,
que l'on ait déjà vu ou non au moins un cygne sur Jupiter,
même à un moment du passé, donc sous certaines conditions
initiales déduites d'une théorie universelle. En fait, on
s'aperçoit que ce qui pousse les psychanalystes à croire en
l'universalité, et donc en la réfutabilité de leurs
théories, c'est paradoxalement, leur croyance en la validité
des inférences inductives, lesquelles leur permettraient de valider
ce qui confirme d'abord positivement la conjecture : "il y a un inconscient"
par l'observation d'une ou plusieurs confirmations lues à la lumière
de cette conjecture, (observations qui ne peuvent donc être indépendantes
de la théorie qui permet de les relever, et qui ne sont donc
pas des essais de réfutations que la théorie à passé
avec succés) pour ensuite induire que l'énoncé universel
: "tous les hommes ont un inconscient du type freudien" est justifié
et même vérifié par une telle procédure logique.
Mais n'oublions pas que, même si le terme "inconscient" est un terme
universel, donc invérifiable, Freud a fait de la théorie de
l'inconscient une théorie universellement et absolument vérifiée,
grâce à la doctrine du déterminisme
mental prima faciae et absolu sur laquelle il se fonde pour affirmer
exclure tout hasard et tout non-sens psychique dans tout ce qui relève
d'une causalité inconsciente).
(2)
Le lecteur plus intéressé sur la façon dont "progresse"
réellement la psychanalyse pourra se référrer au livre
de Mikkel Borch-Jacobsen : "Folies à plusieurs", et au chapitre intitulé
: "Portrait du psychanalyste en caméléon". Ce chapitre aborde
la question cruciale directement : "Qu'est-ce qu'un progrès en psychanalyse
?" et y répond. Il n'y a pas et il ne peut y avoir de véritable
progrès des théories psychanalytiques. Borch-Jacobsen permet
ainsi d'effacer la critique de Grünbaum selon laquelle les théories
cliniques de Freud aurait été prétendument falsifiables
: "L'histoire de la psychanalyse est celle d'un perpétuel conflit d'interprétations
- libido contre protestation virile; Oedipe contre trauma de la naissance,
inceste fantasmé contre abus sexuel réel, mère
préoedipienne contre père symbolique, etc. - et il serait vain
de vouloir chercher dans ces controverses un quelconque développement
cumulatif. Ce qui est présenté comme "progrès de la
psychanalyse" n'est plus souvent que la dernière interprétation
en date ou la plus acceptable dans un contexte institutionnel historique
et culturel donné." (Mikkel Borch-Jacobsen. In : "Folies à
plusieurs." Edition : empêcheurs de penser en rond. Page : 315.