J. Van Rillaer répond
aux critiques
de Y. Cartyvels (doyen des
Facultés Saint-Louis à Bruxelles)
sur
Le Livre noir de la psychanalyse
Deux semaines après la parution du Livre noir de la psychanalyse, Yves Cartuyvels, doyen de la Faculté de droit des FUSL — établissement où je suis professeur à temps partiel — a envoyé au Nouvel Observateur un texte intitulé :"Le Livre noir de la psychanalyse : guerre des psy ou enjeu de société ?"
Du fait que, parmi la quarantaine d'auteurs du livre, je suis pratiquement le seul cité par M. Cartuyvels, le Nouvel Observateur m'a proposé de lui répondre avant de mettre son texte sur le site de la correspondance relative au Livre noir
http://permanent.nouvelobs.com/culture/20050916.OBS9405.html
A présent, le texte de M. Cartuyvels et le mien se trouvent sur ce site, plus précisément à l'adresse
http://permanent.nouvelobs.com/culture/20050929.OBS0614.html
Le texte qui suit est ma réponse à quinze critiques de M. Cartuyvels. Deux tiers de ces objections sont simplement des arguments classiques de freudiens. Ma numérotation correspond à celle de M. Cartuyvels.
A la fin du texte, se trouvent les remarques de Mme Ursula Gauthier, responsable du dossier dans le Nouvel Observateur, concernant le texte du camarade Cartuyvels. Ces remarques se trouvent également à l'adresse internet susmentionnée.
Le 23.9.2005, La Libre Belgique a accordé à M. Cartuyvels une page entière du quotidien pour présenter, sous le même titre, une partie des mêmes critiques.
Le présent document se trouve facilement en tapant "Cartuyvels" et "Rillaer" dans Google ou en surfant sur le site de l'éditeur du Livre noir de la psychanalyse : www.arenes.fr
1.a. M. le Doyen Cartuyvels se présente comme “ un criminologue actif depuis très longtemps dans le champ de la santé mentale (et notamment dans les domaines de l'usage des drogues et de l'abus sexuel). ”
Pour autant que je sache, Mr. Cartuyvels est un criminologue en chambre. Son activité professionnelle consiste à donner des cours, participer à des réunions, aller en bibliothèque, écrire des textes. Je n'ai jamais entendu dire qu'il ait une quelconque pratique de soignant en matière de drogue et d'abus sexuels.
1.b. M. le Doyen a lu “ dans la publicité ” de cet ouvrage que celui-ci “ pèse plus d'un kilo ”.
Ce n'est bien sûr pas l'éditeur qui utilise une annonce aussi comique "en guise de publicité". Voyez son site <www.arenes.fr>
1.c. M. le Doyen écrit : “ Comme l'a bien souligné Le Monde dans son édition du 9 septembre 2005, l'entreprise cherche plus à disqualifier l'adversaire qu'à en discuter les thèses. ”
M. Cartuyvels n'a sans doute pas lu le Livre noir de la psychanalyse. Il a dû feuilleter deux de mes livres et se fie à ce que racontent certains journalistes. Il regrettable qu’il reproduise les propos partisans d'un journaliste du Monde, qui a manipulé sans vergogne mes propos. Concernant cette manipulation choquante, je renvoie au point 11 de ma réponse aux affirmations de Mme Roudinesco dans L'Express. Pour trouver ce texte, il suffit de surfer sur www.arenes.fr ou de taper "Roudinesco" et "Rillaer" dans Google.
2. M. le Doyen écrit que “ Mr Van Rillaer, dans La Gestion de soi [Note de V.R. : éd. Mardaga, diffusé en France par SOFEDIS, 1992, 4e éd. en 2000], présentait une image classiquement diabolisante du toxicomane que n'auraient pas désavoués les prohibitionnistes les plus aigus. ”
Dans cet ouvrage, j'ai eu la satanique audace d'écrire (p. 17) : "Les assuétudes à des drogues ou à d'autres “stimuli” se développent d'habitude dans un contexte relationnel plus ou moins influent, qui peut s'analyser selon des perspectives économiques, sociologiques, politiques, historiques. Elles peuvent aussi s'envisager comme une insuffisance d'autocontrôle."
Pour M. le Doyen, défenseur sans réserve de la psychanalyse, les toxicomanies sont sans doute l’expression d’un problème sexuel. Freud écrit à ce sujet: "La masturbation est la seule grande habitude, le désir primordial (Ursucht), et que les autres dépendances (Süchte), à l'alcool, à la morphine, au tabac, etc. n'en sont que le succédané (Ersatz), le substitut." "Tous ceux qui ont l'occasion de prendre de la morphine, de la cocaïne, du chloral et d'autres substances du même genre ne deviennent pas pour autant des toxicomanes. Un examen plus poussé montre, de façon générale, que ces narcotiques servent — directement ou indirectement — de substituts à un manque de satisfaction sexuelle" (réf. précises dans La gestion de soi, p. 21).
Dommage que cette COMPREHENSION DES CAUSES "PROFONDES" n'ait pas permis à Freud d'arrêter de fumer, bien qu’il ait essayé à plusieurs reprises. Récemment, Peter Gay, un biographe-hagiographe de Sigmund, donnait "l'explication" de ces échecs répétés — car cela aussi "fait sens" : "La jouissance que fumer procurait à Freud, ou plutôt son besoin invétéré, devait être irrésistible, car après tout, chaque cigare constituait un irritant, un petit pas vers une autre intervention et de nouvelles souffrances. Nous savons qu'il reconnaissait son addiction, et considérait le fait de fumer comme un substitut à ce “besoin primitif”: la masturbation. A l'évidence, son auto-analyse n'avait pas atteint certaines strates, et laissé irrésolus certains conflits." (réf. dans Le Livre noir, p. 230).
3.a. M. le Doyen a la modestie d'écrire : “ Que Freud ait quelque peu arrangé les choses ici et là, je suis incapable d'en juger. Mais, à supposer que ce soit le cas, Freud ne serait pas un cas unique, loin de là. ”
Le problème est que la psychanalyse, dans sa spécificité, repose fondamentalement sur les succès thérapeutiques de Freud dont on sait aujourd’hui qu’ils furent en réalité des échecs (par exemple les fameux "18 cas d’hystérie") et qu'il ne s'agit pas là du tout de "petits" arrangements. Il s'agit de mensonges parfaitement conscients et répétés, tant sur ses résultats que sur l’histoire de ses découvertes.
M. le Doyen écrit "à supposer que ce soit le cas". Comment lui faire comprendre que c'est effectivement le cas ! Même Mme Roudinesco, la principale propagandiste de la psychanalyse en France, a fini par écrire en 1999, au sujet d'Anna O. (dont Freud a toujours affirmé qu'elle fut "délivrée de tous ses symptômes", alors qu'elle avait dû être placée dans un hôpital psychiatrique) : "Si elle ne fut pas guérie de ses symptômes, elle devint bel et bien une autre femme". Relisez bien : "Elle ne fut pas guérie de ses symptômes". Je renvoie au Livre noir pour d'autres exemples.
3.b. M. le Doyen écrit : “ La “boîte à outil” freudienne est d'une richesse heuristique incomparablement plus grande que les repères d'une “psychologie scientifique” dont les arguments s'apparentent régulièrement à des truismes confondants. ”
Prenons la question des causes de l'antisémitisme. Que dirait un psychologue scientifique ? Qu'il faut d'abord bien observer des faits et ensuite les analyser selon des perspectives psychologiques, économiques, sociologiques, politiques, historiques. Que disait Freud ? Rien de plus que ceci :
"Le complexe de castration est la plus profonde racine inconsciente de l'antisémitisme car, dans la nursery déjà, le petit garçon entend dire que l'on coupe au Juif quelque chose au pénis — il pense un morceau du pénis — ce qui lui donne le droit de mépriser le Juif. Et il n'est pas de racine plus profonde au sentiment de supériorité sur les femmes." (Cinq psychanalyses, PUF, 1970, p. 116). Elémentaire, mon cher Watson, le sexe, le sexe, toujours, toujours…
3.c. M. le Doyen pose encore cette question : “ Quels sont les liens entre la psychologie scientifique et les puissants lobbys pharmaceutiques dont les subsidiations et cadeaux de toutes sortes sont à la limite de ce qui serait considéré comme de la corruption ailleurs ? ”
Manifestement M. le Doyen confond "psychologie scientifique" et "psychiatrie biologique". En ce qui me concerne, j'affirme sur l'honneur n'avoir reçu de firmes pharmaceutiques rien de plus que l'un ou l'autre stylo bic et de petits bloc-notes, à l'occasion de congrès de psychothérapie, où se trouvaient quelques stands de firmes produisant des psychotropes.
4.a. M. le Doyen écrit que Mr. Van Rillaer renvoie la psychanalyse du côté des “ pseudo-sciences ”, voire de la philosophie, une discipline que l'auteur ne tient manifestement pas en grande estime, les philosophes étant parfois qualifiés sur d'autres scènes de “ Filousophes ”.
Je n'ai jamais utilisé le mot "Philousophe" dans un texte écrit. M. le Doyen est bien renseigné sur ce que je dis au cours (ce qu'il appelle "d'autres scènes"). J'utilise parfois ce bon mot de LACAN pour parler de… LACAN et ses émules. Jamais pour parler des philosophes sérieux. Lui qui a feuilleté Psychologie de la vie quotidienne (Odile Jacob, 2003), devrait avoir remarqué que, sur les 10 épigraphes de mes chapitres, 9 sont empruntées à des philosophes. La 1ère est d'Emmanuel Mounier, la 2e de Francis Bacon, la 3e de Léon Brunschvicg ("Croire ou vérifier : l'alternative est inéluctable"), la 4e d'Alain ("L'erreur n'a rien d'étrange ; c'est le premier état de toute connaissance"), la 5e de Blaise Pascal, la 6e d'Umberto Eco, la 7e de Paul Valéry, la 8e est un proverbe latin, la 9e est de Montaigne et la 10e de Vauvenargues.
Concernant la philo, M. le Doyen ferait bien d'oser un petit peu critiquer Freud. Celui-ci disait en effet que "la philosophie est une des formes les plus convenables de sublimation d'une sexualité refoulée, rien de plus." (Je souligne. Pour les réf., voir Le Livre noir, p. 419). Elémentaire, M. Le Doyen, le sexe, le sexe, toujours, toujours …
Lacan — qui a recyclé de la philo sous le label "psychanalyse" (voir l'excellent texte "Lacan ventriloque" de Borch-Jacobsen dans Le Livre noir) — déclarait publiquement en 1977 : "Je ne crois pas faire de la philosophie, mais on en fait toujours plus qu'on ne croit. Rien de plus glissant que ce domaine. Vous en faites aussi, à vos heures, et ce n'est certainement pas ce dont vous avez le plus à vous réjouir." (réf. dans Le Livre noir, p. 419).
4.b. M. Cartuyvels écrit : “ La singularité de l'humain n'est-elle pas de mettre radicalement en échec toute tentative d'énonciation de règle à vocation générale le concernant ? ”
Je suis absolument stupéfait d'apprendre que M. le Doyen remet "radicalement" en question la possibilité d'établir des "lois" sociologiques ou psychologiques (c'est-à-dire des relations du type "si A, alors B, et non C"). Je ne comprends pas, dans ces conditions, son adhésion sans réserve à la psychanalyse. Le psychanalyste, bien plus que le psychologue scientifique, abstrait et généralise ! Alors que le second dit que, chez les enfants de 5 ans, un peu plus de la moitié préfère le parent du sexe opposé, le psychanalyste affirme que le complexe d'Œdipe est universel. Le scientifique veut bien admettre que certaines femmes préfèreraient être des hommes, notamment à cause de leur statut, mais Freud affirme que la psychologie de toutes les femmes est toujours polarisée par "l'envie du pénis". Je me permets de signaler, car nous n'avons visiblement pas la même formation épistémologique, que les lois de la psychologie sont "probabilistes", mais que cela ne les empêche pas d'être "scientifiques". J'ai développé cela dans Psychologie de la vie quotidienne, p. 60. Dans le même ouvrage, j'ai souligné toute l'importance de la démarche herméneutique lorsque la question ne se prête pas à la vérification expérimentale (p. 53).
Certes, à un certain niveau, tout est singulier. Par exemple, l'assemblage de mots que vous lisez ici est unique dans l'histoire de l'univers. Toutefois, ce qui importe, par exemple quand la simple écoute ne suffit pas pour aider efficacement des personnes en souffrance, c'est de connaître des structures, des processus, des lois psychologiques. C'est grâce à la connaissance de lois empiriques ET en tenant compte des particularités de la personne que des médecins et des psychologues peuvent agir mieux que des gens simplement empathiques ou compatissants.
(A toutes fins utiles, je rappelle que des connaissances scientifiques n'excluent aucunement une attitude respectueuse, chaleureuse et empathique).
Si seule compte la singularité, il faut oser faire le pas accompli par Lacan dans les années 70. Le maître parisien déclarait : le psychanalyste ne dispose pas d'un savoir qu'il peut appliquer ou enseigner ; il est seulement le "sujet supposé savoir" ; la psychanalyse est une expérience strictement personnelle ; "le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même" ; "la psychanalyse est intransmissible" ; "chaque analyste est forcé de réinventer la psychanalyse" (Pour les références, voir Livre noir, p. 436).
4.c. M. le Doyen me fait passer pour un individu borné, répressif et punitif en écrivant : “ Lorsque M. Van Rillaer évoque l'échec possible de propositions thérapeutiques cognitivo-comportementalistes scientifiquement fondées, il en attribue la responsabilité au sujet. ”
Hallucinant ! Où a-t-il lu cela ? Je n'ai jamais écrit une stupidité pareille. Voilà ce que j'ai écrit dans Le Livre noir p. 750 :
"Comme dans tout processus d'apprentissage, les résultats des TCC dépendent de divers paramètres : l'état de la personne au départ, l'importance qu'elle attache au changement, l'existence de procédures efficaces, la compétence, l'honnêteté et la notoriété du thérapeute, la qualité de la relation avec lui, l'anticipation d'effets positifs, l'adhésion à la méthode, les efforts mis en œuvre, le degré de satisfaction éprouvé suite aux premiers changements, les réactions de l'entourage, la capacité de relativiser des échecs momentanés, etc."
J'écrivais exactement la même chose dix ans plus tôt, p. ex. dans Les thérapies comportementales (éd. Bernet-Danilo, 1995, p. 57 ; 3e éd., 2002). En voyant les propos que M. le Doyen m'attribue publiquement, je me pose des questions sur son éthique.
5.a. M. le Doyen affirme : “ La psychologie scientifique croit toujours dur comme fer à la possibilité d'une science neutre, dégagée de tout rapport social ou de tout investissement subjectif, une science capable d'observer et de dire “ce qui est”, d' “objectiver” les faits pour en énoncer la vérité "vraie". ”
M. Cartuyvels "projette" sur la psychologie scientifique des fantasmes qui ne correspondent aucunement à la réalité des faits. Déjà en 1980, dans Les illusions de la psychanalyse (4e éd. en 1996, Mardaga, diffusé en France par SOFEDIS), je consacrais pas moins de 20 pages à exposer des expériences de psychologie portant sur l'implication du psychologue SCIENTIFIQUE (!) dans ses propres recherches. Je concluais ce chapitre en écrivant :
"Il faut abandonner le dogme de l'immaculée perception. Tout chercheur sélectionne ses informations et intervient dans le système analysé. Même en physique, on peut parler d'une symbiose entre l'observateur et le phénomène observé. Le célèbre Max Born disait que “nous devons abandonner l'idée qu'il est possible d'observer le cours des événements de l'univers sans le perturber”. Dans les sciences humaines, l'“objet” d'étude réagit à l'observateur encore bien davantage, car il n'est pas une chose, mais un “sujet”. La molécule n'entend pas les propos que le chercheur tient à son égard, mais l'être humain est influencé par ce qu'il apprend sur lui-même.
(…)
L'homme est fondamentalement un être relationnel (raison pour laquelle la psychologie moderne est quasi toute entière devenue "sociale"). Ce que l'observateur et le sujet lui-même attribuent à la vie "intérieure" est toujours en rapport avec la situation extérieure et, bien souvent, n'est rien d'autre que son produit", etc.
C'est aussi ce que j'enseigne, année après année, dans la Faculté dont M. Caruyvels est doyen. J'ajoute que Freud et la grande majorité de ses disciples ne sont pas conscients des conditionnements qu'ils provoquent et qu'ils subissent. J'invite M. le Doyen à lire, dans Le Livre noir, mon chapitre "Le conditionnement freudien" ou encore mon texte "Le conditionnement pavlovien des freudiens" sur le site www.pseudo-sciences.org/
5.b. M. le Doyen écrit : “ Ils (Van Rillaer et ses semblables) ont cette croyance dogmatique ou mystique dans le pouvoir d'une science qui, pour des raisons qui m'échappent, ne semble plus subsister que dans le monde de la médecine et de la psychiatrie et, j'oubliais, de la psychologie scientifique. ”
Je laisse à M. le Doyen ses affirmations concernant les médecins et les psychiatres. Quant à la psychologie scientifique, je constate qu'il n'a lu attentivement aucun de mes livres. Je répète sans cesse ce genre de propos :
"Tout scientifique fait preuve d'esprit critique à l'égard des autorités, de la tradition, de ses collègues, mais également à l'égard de lui-même. C'est un sceptique invétéré. Il n'accepte que ce qui a été soumis systématiquement à l'épreuve de faits bien observés, mais il reste toujours ouvert à la remise en question. La science s'intéresse à tout, mais ne dit pas tout sur tout. Elle ne cherche pas à dévoiler la Vérité ultime qui serait cachée en dessous de la réalité visible. Elle essaie seulement de formaliser des variables particulièrement intéressantes et d'établir des lois empiriques, c'est-à-dire des relations, régulièrement observées, entre des variables. Ces lois permettent de comprendre des enchaînements de phénomènes. Certaines permettent de faire des prédictions très précises et de modifier des phénomènes physiques, biologiques ou psychiques. Ainsi, les sciences biomédicales ne révèlent pas le sens occulte de la vie, mais elles ont permis qu'entre 1870 et 1970 la durée moyenne de la vie des Occidentaux soit passée de 35 à plus de 70 ans et que la mortalité infantile soit devenue cinquante fois moins fréquente.
Certains redoutent que le développement de la science “désenchante le monde”. Lorsque Newton publia une théorie de la lumière en termes de longueurs d'ondes, Goethe la critiqua au nom de la sauvegarde de la poésie. En fait, il y a place, dans notre monde, et pour la science et pour la poésie et la philosophie. Les scientifiques, dans leur grande majorité, n'ont absolument pas l'ambition de résoudre tous les problèmes humains. Les gens qui s'imaginent pareil totalitarisme n'ont pas réalisé des recherches scientifiques sérieuses et ignorent ce qu'est le véritable esprit scientifique. Ils confondent la science moderne avec une version grotesque du positivisme." (Psychologie de la vie quotidienne, O. Jacob, p. 41s).
Comment faire pour que des gens aussi intelligents que M. le Doyen apprennent à VOIR ce qui se trouve ECRIT plutôt que ce qu'ils fantasment ? Je suis désespéré.
6.a. Selon M. le Doyen, “ la psychanalyse revendique un être de désordre ”, tandis que les gens de mon espèce ont “ un projet d'ordre et d'adaptation à l'autre. ”
Je suis un spécialiste des troubles anxieux. J'aide des personnes, qui ne pouvaient le faire, à suivre calmement un cours dans un amphithéâtre, prendre le métro et ne plus subir des attaques de panique. D'autres comportementalistes aident des personnes, qui abusent d'alcool et qui demandent de l'aide, à mieux "gérer" leur consommation de sorte qu'ils ne fassent plus des accidents de voiture et tuent des innocents. Où est le mal ? Bien sûr, je refuserais de traiter un cambrioleur qui me demanderait comment être plus cool quand il fait son job… M. le Doyen imagine-t-il un instant que j'e n'ai pas d'éthique, que mon rêve, pour reprendre son jargon, c'est le "bureaucratisme managérial et le formatage technicien" ? Je trouve ses propos à la limite de l'insulte, tant pour moi que pour les personnes qui m'ont fait confiance. Parmi ces dernières, un certain nombre de collègues, professeurs d'université et même de la sienne, figurez-vous. Des gens qui se laissent stupidement "contrôler" et "normer" ? Je recommande à M. le Doyen la lecture du texte d'Aldous Huxley, l'auteur du Meilleur des mondes, qui se trouve dans notre Livre noir. Ce visionnaire écrivait déjà en 1925 que "la psychanalyse est un des plus beaux spécimens de pseudoscience jamais conçu par l'esprit humain" (p. 406).
6.b. M. le Doyen souligne que “ la psychanalyse n'a jamais été aimée par les projets politiques totalitaires. ”
J'ai consacré quatre pages à cette affirmation dans Le Livre noir (p. 438 à 441). Ici je me contente de citer ce que le psychanalyste François Roustang, qui vécut pendant des années l'aventure lacanienne à Paris, écrit au sujet des prétendus effets subversifs de la psychanalyse :
"La psychanalyse gêne le pouvoir absolu, mais pas plus, ou peut-être beaucoup moins, que quelques hommes d'église incapables de supporter l'esclavage, qu'un syndicat animé par la justice, qu'un groupuscule d'étudiants décidés qui ne redoutent pas la mort." (réf. dans Le Livre noir, p. 441).
7. M. le Doyen note que nous avons eu le souci de nous démarquer de la droite.
Pour lui c'est un aveu : nous devons être de droite. Il utilise ici la stratégie freudienne de la "Verneinung" : "Pile je gagne, face tu perds". Si nous avions dit que nous étions de droite, eut-il conclu que nous étions en réalité de gauche ? Bien sûr que non. Quoi que nous disions, pour lui, nous sommes de droite et lui est du côté des progressistes, les vrais. Pour reprendre un adjectif cher à Mme Roudinesco, nous devons être, à ses yeux, la droite "masquée".
Outre que depuis la sortie de ce livre, nous avons été soutenus par la presse dite de gauche (le Nouvel Observateur et le quotidien français Libération, qui a objectivement rendu compte de ce débat), j'ai consacré plusieurs pages à cette question idéologique dans Le Livre noir. Voici un extrait :
"Freud n'était pas particulièrement démocrate. Il écrivait qu' “on ne peut se dispenser de la domination de la masse par une minorité, car les masses sont inertes et dépourvues de discernement” et que “les hommes sont bien, en moyenne et pour une grande part, une misérable canaille” (ce dernier mot a été beaucoup utilisé par Lacan et donc par son gendre J.-A. Miller). Son système de pensée favorise une “subjectivisation” ou “surindividualisation” de tous les problèmes psychologiques : l'explication finale est toujours trouvée dans la vie “intérieure”, les éternels éléments de l'“âme” (libido, pulsions de vie et de mort, complexes d'Œdipe et de castration, envie du pénis) et le vécu de la petite enfance. (…) On comprend dès lors les critiques de psychologues scientifiques (qui accordent de l'importance aux interactions avec l'entourage et pas seulement celles de la petite enfance), des sociologues et des marxistes.
En juin 1949, la revue marxiste Nouvelle Critique publiait un texte, qui deviendra célèbre : “La psychanalyse, idéologie réactionnaire”. On y expliquait que la psychanalyse, sous couvert de scientificité, est en réalité un instrument politique. Elle dépolitise l'individu, fait du révolté un “névrosé”, sert d'opium pour les classes moyennes. “La psychanalyse vient renforcer la psychotechnique ordinaire dans un travail policier qui fonctionne au service du patronat et de l'occupant américain en vue de l'élimination des indociles et des résistants”. Il est amusant de constater que, depuis la publication du rapport de l'Inserm sur l'efficacité des psychothérapies en 2004, les dévots de la psychanalyse utilisent sans cesse ce même vocabulaire en se contentant de remplacer “psychanalyse” par “TCC”. (Réf. précises p. 438).
* * *
J'espère pouvoir continuer l'enseignement de mon petit cours à option dans la Faculté de M. le Doyen. Je trouve aux Facultés Saint-Louis des collègues et des étudiants charmants. J'y trouve aussi une bibliothèque exceptionnellement bien fournie en ouvrages de psychanalyse. C'est d'ailleurs grâce à cette bibliothèque que j'ai pu remettre mes connaissances psychanalytiques à jour et faire référence, dans Le Livre noir, à des ouvrages et revues que ne possède pas la Faculté de psychologie de l'Université de Louvain-la-Neuve.
J'espère que M. le Doyen fera preuve d'un peu de patience. Dans quatre ans, je serai émérite et il n'y aura plus dans sa Faculté un "positiviste" pour parler de "règles à vocation générale". J'espère seulement que le nouveau professeur de psychologie générale ne se contentera pas de répéter les propos de celui qui enseigne aujourd'hui des choses comme ceci (je scanne et reproduit sans changer un iota) :
"La psychothérapie cognitivo-comportementale est basée sur l'idée d'une efficacité très pragmatique + idée que le psychologue sait quel est le comportement normal et adapté = apprentissage normatif. L'inconscient est ignoré. […] Cette méthode est utilisée avec les toxicomanes, les criminels et les pervers sexuels (cf. "Orange mécanique" : décharges électriques au pénis pour déconditionner)." (Cours de psychologie, FUSL, 2003-2004, page 24, sic).
Depuis de nombreuses années, je propose aux étudiants de St-Louis douze bouteilles de champagne à celui qui m'apportera une publication d'un psychologue scientifique présentant la procédure imaginée par Stanley Kubrick, pour son célèbre film de 1972, comme un traitement réellement pratiqué. Je n'ai pas encore dû débourser, et pour cause : cette "thérapie" n'est pas moins une fiction que l'histoire du Docteur Folamour du même cinéaste. Pour ces jeunes étudiants, l'énoncé de mon défi est une occasion parmi d'autres de développer leur esprit critique à l'égard des intellocrates.
Jacques Van Rillaer
Professeur à l'université de Louvain-la-Neuve.
Professeur à temps partiel aux FUSL.
10-10-2006
* * *
Réaction de Mme Ursula Gauthier au texte de M. Cartuyvels :
“ La lettre de M. Cartuyvels étant principalement adressée à Jacques Van Rillaer, je l’ai transmise à ce dernier – qui répond longuement. Je souhaite réagir sur un seul point : l’assertion de M. Cartuyvels selon laquelle la psychanalyse serait par essence de gauche, et ses opposants de droite.
De nombreux psychanalystes mettent en avant cet argument. Le Nouvel Observateur est un journal de gauche et à ce titre, enclin à examiner très scrupuleusement la “ coloration ” politique des discours ou des phénomènes dont il rend compte. Des psychanalystes nous ont de façon insistante alerté sur ce qu’ils tenaient pour une orientation politique droitière des auteurs du Livre Noir. Nous avons enquêté à ce propos et conclu qu’il s’agissait de rumeurs infondées, voire malveillantes.
J’en viens à ce que M. Cartuyvels analyse comme une sorte d’orientation idéologique globale qui placerait les TCC dans le camp néo-libéral. A ses yeux la préoccupation de ce que les psychanalystes appellent “ le sens ” serait la marque de fabrique de la gauche, alors que l’“ efficacité ” (tant prisée par les TCC) serait celle de la droite. Ces assimilations me semblent discutables :
- Au nom de quoi devrait-on disqualifier comme étant “ droitière ” la recherche de l’efficacité dans le traitement des personnes souffrant de graves problèmes psychologiques, autant de la part des personnes concernées que de la part des soignants ?
- En quoi la gauche et l’efficacité seraient-elles incompatibles ?
- En quoi l’efficacité et le “ sens ” lui-même seraient antinomiques au point de ne pouvoir coexister au sein de la même démarche ? Faut-il croire M. Cartuyvels quand il dénie à toute autre approche que la sienne la capacité de donner “ du sens ” au fait humain ? Bref, cette façon de se positionner dans le débat me semble peu féconde pour les malades, pour la gauche, comme pour la réflexion philosophique. ”